mercredi 23 mars 2016

Célibat...réducteur

Depuis que nous avons appris par la Presse que Jean-Paul II avait eu toute sa vie une amie, les fronts des catholiques se plissent, leur mémoire ramène à leurs yeux le « santo subito » portés par ses fans dès après sa mort, et surtout cette canonisation qu’il fallait bien que François octroie rapidement aux affidés de Jean-Paul II s’il voulait faire reconnaître la sainteté du Bon pape Jean XXIII.
Les catholiques qui dépassent le premier choc et réfléchissent se demandent pourquoi un pape, un prêtre n’auraient pas le droit d’avoir une amie. Teilhard de Chardin avait une cousine qui fut une confidente. Plus indiscutable pour des chrétiens sourcilleux, saint François d’Assise avait sainte Claire comme amie, et combien solide, st François de Salle…
La femme pour l’homme comme l’homme pour la femme c’est, et pas seulement au physique, l’autre moitié du monde : « Il les fit homme et femme ». Chacun découvre en l’autre son complément et sa complétude, si toutefois ils y font effort - et quel effort pour devenir vraiment humain !
Alors on peut comprendre que Jean-Paul II, que l’abbé Pierre, que tant de prêtres maintenant aient une amie. On peut même le souhaiter.
Mais alors, pourquoi les autorités ecclésiastiques ont-elles été, sont-elles encore si sourcilleuses, et aussi tout une classe de gens, lorsqu’elles apprennent qu’un ecclésiastique a une amie ? Certains catholiques écrivent à Rome, Rome interpelle l’évêque du lieu et lui enjoint d’intervenir. Ainsi, des prêtres qui faisaient un travail solide et profond, se voient écartés de leur ministère.
Bien sûr que la relation affective qui ira de pair avec l’échange intellectuel peut devenir physique, occasionnelle, suivie… « Homo sum… » disait le poète Térence il y a des siècles déjà.
A l’occasion de ce choc produit par la révélation de la relation de Jean-Paul II, reste peut-être à la hiérarchie catholique à réfléchir sur le célibat ecclésiastique, sur la permanence des vœux religieux, comme elle est attentive, grâce au récent synode sur la famille, à ce que sont les promesses humaines dans la progression de l’humanité vers son atteinte du Divin.


Gilles Lacroix, Mars 2016

mercredi 6 janvier 2016

Pour un Évangile critique


Rédigé par : Michel Barlow dans ConvictionJournal 1 janvier 2016

…/ la critique est souvent perçue comme une entreprise de démolition systématique de toutes les certitudes. Mais celle ou celui pour qui l’Évangile est une vérité qui libère (Jn 8,10) peut ou doit faire l’hypothèse inverse : la critique (c’est-à-dire, étymologiquement, une intelligence qui fait le tri entre ce qui est juste et faux, intelligent et stupide, etc.) n’est-elle pas au contraire plus évangélique qu’une docilité sans recul ? L’Évangile n’est-il pas l’appel le plus radical à la critique en matière religieuse ? Après tout, la Parole de Dieu elle-même est qualifiée de critique dans la fameuse envolée de l’Épître aux Hébreux 4,12 : « Elle est vivante, la Parole de Dieu, énergique et plus tranchante qu’aucun glaive […], apte à discerner (kritikos) les mouvements et les pensées du cœur ! »

En fait, le rabbi Jésus est bel et bien, pour ses disciples d’hier comme d’aujourd’hui, le chantre de la Parole critique. Il prend hardiment, et non sans risque, ses distances avec la Loi de Moïse – du moins selon l’interprétation rigoriste, codifiée, « prédigérée » qu’en faisaient certains esprits religieux de son temps ! Et quand il déclare solennellement qu’il n’est « pas venu abolir mais accomplir la Loi et les Prophètes » (Mt 5,17), il appelle clairement à faire le tri entre l’essentiel et l’accessoire, voire le folklorique – autrement dit à mettre en œuvre une critique religieuse ! A contrario, ce sont leurs erreurs de tri qu’il reproche aux pharisiens « qui payent la dîme de la menthe et du cumin mais négligent la justice et l’amour de Dieu » (Lc 11,42) !
Ce n’est donc pas seulement pour la conduite de leurs différends en matière juridique que Jésus lance à ses disciples : « Pourquoi ne jugez-vous pas par vous-mêmes de ce qui est juste ? » (Lc 12,57). En parlant ainsi, il ne leur conseille pas de faire l’économie des honoraires d’avocat ! Il les invite à utiliser leur intelligence pour diriger librement leur pensée et leur action.

Assurément, le christianisme a souvent été utilisé comme le garant d’un système politique ou éducatif contraignant. Mais il ne faut pas confondre une œuvre et ses contrefaçons ! Toutes les démissions de la pensée et de la volonté personnelles ne sont pas autre chose que des blasphèmes à l’égard de ce Dieu qui a créé l’homme « à son image et à sa ressemblance » (Gn 1,26-27). Ainsi, chaque fois que l’on méprise l’homme, chaque fois que l’on en fait une image mesquine, docile et décérébrée, on méprise Dieu. Celui-ci ne souhaite pas avoir pour enfants des robots ou des esclaves tremblants (Rm 8,15), mais des esprits libres et critiques, voire des « libres penseurs » !
Cependant, si l’Évangile libère nos esprits des aliénations « religieuses », il nous invite aussi à un « tri sélectif » dans tous les domaines de l’activité humaine.
En matière de jugement moral, la critique évangélique et libératrice se nomme discernement : « Je crois agir ainsi chrétiennement, mais est-ce bien au nom de l’Évangile que je prends cette option, ou sous l’influence insidieuse des mentalités ambiantes, de l’éducation que j’ai reçue, etc. ? » Toutes choses qui me font considérer comme évident ce qui mériterait amplement d’être critiqué.

Dans ce registre, je m’étonne – avec une « vraie fausse » naïveté – qu’une certaine Église chrétienne (devinez laquelle !) formule ses directives morales comme des théorèmes mathématiques : à appliquer sans discussion toujours, partout, quelles que soient les circonstances, par toutes et tous, sans exception envisageable. L’avortement, la masturbation, le divorce, l’homosexualité, etc.  sont à proscrire toujours, partout. Sur la longue liste de ces « péchés mortels », les fidèles devraient en principe se déterminer non par eux-mêmes (après une critique évangélique et personnelle de la décision à prendre) ; il leur faudrait se contenter d’appliquer avec soumission la « loi de l’Église ». Comme ces enfants (d’autrefois !) qui n’avaient pas à comprendre mais seulement à obéir quand papa-maman leur disait que quelque chose était mal… ou bien ! C’est ce qu’en termes savants, on appelle l’hétéronomie morale : le fait qu’un autre (hétéros) fixe la loi (nomos) de votre action.

Bref, rencontré en lui-même et non à travers le filtre épais des traditions ecclésiales, l’Évangile est un appel à décider par soi-même de ce qui est juste, un appel à être autonome, à être tout simplement soi-même