lundi 6 février 2012

Liturgie (Cardinal J.Ratzinger)

Le deuxième grand événement au début de mes années à Ratisbonne fut la publication du Missel de Paul VI, assortie de l’interdiction quasi totale du missel traditionnel, après une phase de transition de six mois seulement. Il était heureux d’avoir un texte liturgique normatif après une période d’expérimentation qui avait souvent profondément défiguré la liturgie. Mais j’étais consterné de l’interdiction de l’ancien missel, car cela ne s’était jamais vu dans toute l’histoire de la liturgie. Bien sûr, on fit croire que c’était tout à fait normal. Le missel précédent avait été conçu par Pie V en 1570 à la suite du Concile de Trente. Il était donc normal qu’après quatre cents ans et un nouveau concile, un nouveau pape présente un nouveau missel. Mais la vérité historique est tout autre : Pie V s’était contenté de réviser le missel romain en usage à l’époque, comme cela se fait normalement dans une histoire qui évolue. [...] Le décret d’interdiction de ce missel, qui n’avait cessé d’évoluer au cours des siècles depuis les sacramentaires de l’Église de toujours, a opéré une rupture dans l’histoire liturgique, dont les conséquences ne pouvaient qu’être tragiques. [...] les choses allèrent plus loin que prévu : on démolit le vieil édifice pour en construire un autre, certes en utilisant largement le matériau et les plans de l’ancienne construction. [...] Je suis convaincu que la crise de l’Église que nous vivons aujourd’hui repose largement sur la désintégration de la liturgie, qui est parfois même conçue de telle manière – et si Deus non daretur – que son propos n’est plus du tout de signifier que Dieu existe, qu’Il s’adresse à nous et nous écoute.
Cardinal Joseph Ratzinger, Ma vie mes souvenirs, Fayard 1998

La Pentecôte revisitée


Les peintres ont toujours représenté la Pentecôte de façon convenue, en ne mettant en scène que les 12 apôtres et la Vierge Marie, avec chacun sa petite flamme sur la tête, le tout surmonté d’une colombe représentant le Saint-Esprit dans sa descente en vol depuis le ciel. Mais si on gratte un peu, la réalité se dévoile différente sous cette première couche de peinture.
Dans la réalité, telle que je la lis dans les Actes des Apôtres, ils ne sont pas seulement 12 à se trouver enflammés par l’esprit retrouvé de Jésus, mais symboliquement 120, c’est-à-dire tout un petit peuple de disciples, hommes et femmes, autour des 12 apôtres.
Dans la réalité, il n’y avait pas de langues de feu, mais des langues bien pendues et qui se déliaient dans des paroles de feu dont le brouhaha, s’amplifiant soudain, faisait penser à un violent coup de vent.
Rien n’est à prendre au pied de la lettre, tout est dit par Luc sous le mode d’une fable dont il y a une morale à tirer. 
Dans la foule attirée par le bruit de ces échanges verbaux entre les disciples, les gens ne comprennent pas,  ils « se demandent ce que cela voulait dire », alors même qu’ils avaient l’impression de le saisir tout en ne parlant pas la même langue que ceux qui palabrent. Mais ce ne sont pas des paroles que captent ces gens, c’est un élan, de l’allant, de l’enthousiasme. Et finalement Pierre, prenant la parole « d’une voix forte », leur en donne l’explication : il s’agit de Jésus — sans doute suffisamment connu pour qu’il retienne leur attention. Il est mort, certes, on ne le reverra plus. Pourtant, la vie avec lui se retrouve comme avant. Son esprit reste bien vivant et tout se passe comme si lui-même était là à nouveau parmi nous.
Premier résultat de ce nouvel élan qui anime les disciples : les gens se convertissent en foule à la foi en Jésus retrouvé. Puis cela fera boule de neige. Le christianisme est né et ne cessera — jusqu’au XX° siècle — de croître et se multiplier.
« C’est l’Esprit-Saint qui est à l’œuvre », disent les bonnes âmes, et l’on en fait les gorges chaudes : « Confiance, il est là, il s’occupe de nos affaires de religion ». Or ce n’est justement pas le Deus ex machina nous dispensant d’inventer ce qu’il y a à faire et à dire aujourd’hui. Il y a des initiatives tout à fait nouvelles à prendre aujourd’hui dans l’esprit de l’Évangile. Il n’y a pas de nouvelles instructions à attendre, mais d’agir de nous-mêmes dans un certain esprit.
En lisant les Actes, on voit que la Pentecôte est la prolongation de la résurrection, une fois la conscience acquise à l’Ascension que la nouvelle vie de Jésus se traduit par sa disparition définitive à nos yeux. S’il revit, c’est en esprit et lorsque son esprit nous habite dans nos choix de vie. Ce sont ses disciples, en inventant leur propre vie, qui mettent en œuvre son esprit dont ils s’inspirent.
Guy de Longeaux