Les rites
sacrés n’étouffent-ils pas la spiritualité en empêchant les relations
interpersonnelles alors que celles-ci sont le milieu de vie de la spiritualité ? Une chose
est le recueillement en commun lorsqu’il exprime un accord des personnes
donnant une même signification à ce qu’elles accomplissent, autre chose est
l’isolement de chacune dans l’obéissance à des injonctions sacrées.
Voyez ce
chrétien se rendant à la messe à peu près chaque dimanche. Il ne lui convient
pas de se soumettre à des rites qui s’imposeraient à lui au nom de leur
caractère sacré. Pendant les cantiques il reste muet, il ne baisse pas la tête
lors de la « consécration », il voit des enfants de chœur (ou
« servants d’autel ») qui se tiennent les mains jointes, et ça le
gêne, il voit certaines personnes s’avancer dans une attitude pieuse pour la
communion et faire une génuflexion avant de recevoir l’hostie sur la langue, et
ça le gêne. Il a l’impression que ces personnes s’aliènent dans des
postures convenues et des gestes
obligés, croyant se mettre ainsi en relation avec Dieu. Et, ce faisant, ces
personnes s’isolent les unes des autres, s’enfermant chacune dans son propre
jeu, dans son petit théâtre. Elles croient peut-être vivre ces rites en commun
avec les autres, mais c’est largement illusoire dans la mesure où les autres
n’entrent peut-être pas dans le jeu parce qu’ils ne perçoivent pas ces rites de
la même façon. Je pense à ce prêtre disant que, lorsqu’il concélèbre, il pense
qu’il ne donne sans doute pas du tout la même signification que son voisin aux
paroles qu’ils prononcent ensemble.
Selon Jésus,
parlant à la Samaritaine, Dieu n’est pas à chercher dans un lieu consacré, ni
en accomplissant des gestes rituels, mais « en esprit » — dans la
conscience — et « en vérité »
— dans la vérité de la vie, qui se fait dans les échanges entre les personnes.
Un théologien
nous réconcilie avec le sacré tout en en changeant le sens lorsqu’il écrit que ce
qui est sacré, ce sont les relations entre personnes :
« Le rite
chrétien sacralise avant tout la relation aux autres. L’espace sacré, ce n’est
pas le temple matériel. L’espace sacré, nous le lisons notamment chez saint
Paul, c’est notre corps, notre corps individuel, et c’est le corps social que
nous formons avec les autres…, celui que Paul appelle le corps du Christ. Et
qu’est-ce que le corps du Christ ? Eh bien, c’est l’ensemble des chrétiens
qui s’unissent les uns aux autres en vue de rayonner la fraternité autour
d’eux »
Malheureusement, le chrétien dont on a parlé plus haut
s’ennuie à la messe. Un ministre du culte, dûment consacré pour cette fonction,
habillé d’ornements liturgiques, lit des textes vénérables en forme de prières
lourdes de considérations théologiques interminables qui ont beau être en
français — et non plus en latin, comme avant le concile Vatican II — et qui ont
beau n’être pas toujours exactement les mêmes d’un dimanche à l’autre, sont comme le bruit d’un fleuve qui s’écoule
sans autre répit qu’un cantique interrompant de temps en temps la cascade
fastidieuse. Et, pendant ce temps, les voisins sont là sans que l’on puisse
rompre le silence avec eux, ce silence bruyant
qui occupe les trois quarts de la durée de la messe.
On est loin de
la convivialité et de la profondeur des échanges qu’elle permettait lors de la
Cène de Jésus avec ses disciples la veille de sa mort.
Guy de Longeaux