François :
Le
christianisme n’oppose pas tradition et discours social
Publié le 28 novembre 2013 à 9:00 dans
MondePolitiqueSociété
Un bruit court dans certains milieux: le pape François
représenterait la revanche de la ligne progressiste dans l’Eglise ! Après les
pontificats soi-disant « conservateurs » de Jean-Paul II et
Benoît XVI, le nouveau souverain pontife incarnerait le retour à la tentative
d’ouverture au monde engagée par le dernier concile. D’une Eglise moralisatrice
et doctrinale, nous reviendrions à une Eglise de nouveau en phase avec
notre temps, disposée, à tout le moins, au dialogue avec lui.
L’Eglise retrouverait les intuitions de Vatican II et
mettrait (provisoirement?) un terme aux ères glaciaires traversées par Rome
depuis trente ans. La parole papale redeviendrait audible. Les déshérités,
matériels comme spirituels, retrouveraient droit au chapitre. Au lieu de se
crisper sur des revendications identitaires, le clergé serait disposé à
reprendre langue avec la société. Tolérance et décontraction à tous les étages
!
Les observateurs qui soutiennent cette opinion ont-ils
lu les écrits, les discours, de François? Et ceux de Benoît, de Jean-Paul
? A ce niveau, la rupture est-elle si avérée? N’est-ce pas Jean-Paul II qui a
lancé les rencontres inter-religieuses d’Assise? Benoît XVI n’a-t-il pas eu de
cesse d’appeler au dialogue entre foi et culture en tant qu’éminent penseur et
philosophe? Tous deux ne se réclamaient-ils pas d’ailleurs de Vatican II?
Le premier y avait en effet joué un rôle éminent. Quant à Joseph
Ratzinger, jeune théologien à l’époque, il y avait également participé en tant
expert et assistant du Cardinal Frings.
« C’est une affaire de style », nous
rétorque-t-on. Soit. Le pape François est un pasteur. Benoît XVI était
davantage un théologien. On sait que ce dernier a accepté la charge à reculons.
Jean-Paul II, de son côté, fut marqué par l’athéisme politique du communisme :
ainsi s’expliquait son souci d’une Eglise plus confessante, militante.
François, lui, vient d’un continent qui a fait du travail social des
communautés de base sa marque spécifique. Ancien archevêque de Buenos Aires, le
contact ne lui fait pas peur. Alors que Benoît semblait quelquefois emprunté en
public, timide, quoique toujours chaleureux, le nouveau souverain pontife se
meut au milieu des foules avec aisance, y prenant visiblement le plus grand
plaisir. Ses discours font mouche à tous les coups. Simple et direct, point
besoin d’être licencié en théologie pour le comprendre.
Sur le fond, le pape François est-il
vraiment plus « social » que ses prédécesseurs? A première vue, les
observateurs seraient tentés de le penser. Un pape sud-américain ! Cependant,
c’est oublier un peu vite que Benoît XVI a écrit durant son ministère pétrinien
un important document sur la question: « L’Amour dans la Vérité ». Jean-Paul II avait lui aussi la fibre sociale très
développée. Il fut un des premiers à mettre en garde contre les ravages de
l’ultralibéralisme après la disparition du rideau de fer dans les pays de l’Est.
Depuis Léon XIII, au dix-neuvième siècle, la papauté a toujours mis l’accent
sur l’impératif de l’engagement des croyants dans la cité. Dans ce domaine,
François s’inscrit dans une ligne doctrinale ininterrompue depuis «Rerum novarum » (1891), première encyclique à traiter de la question
ouvrière.
Pour la plupart des observateurs, le style,
aujourd’hui, se résume souvent à l’image médiatique. François est télégénique,
sympathique, et audible : tant mieux! Les chrétiens ne s’en plaindront pas, eux
qui ont toujours tenu l’iconoclasme, la condamnation des images, pour une
amputation de l’humaine condition. La vue, c’est le corps. Le corps a toujours
été tenu en grande estime dans le catholicisme. La preuve: on ne peut pas se
confesser par téléphone ! Pour recevoir le sacrement de réconciliation, vous
êtes tenus de vous déplacer, vous et votre carcasse, de parler de bouche à
oreille (toujours le corps!) à un prêtre, lui aussi fait de chair et d’os
! Avant de constituer un système d’idées, le christianisme est une affaire de
personnes, que ce soit Jésus-Christ, le pape, mon curé, mes co-religionnaires,
mes collègues, mon voisin ou ma voisine de palier. Alors, rien que de très
normal si le style de François influe sur notre perception de l’Eglise.
Cependant l’image n’est pas tout. Ce n’est pas
parce que François est sympa et décontracte, que l’Eglise serait subitement
devenue progressiste. Tout comme ce n’est pas parce que Benoît XVI donnait la
communion sur la langue aux fidèles qu’elle restait engoncée dans son
conservatisme durant son pontificat. Comme tous les organismes vivants,
l’Eglise est diverse. Différentes sensibilités la traversent. C’est ce qu’on
appelle la vie. Gardons-nous des idées reçues, des vieux clichés qui voudraient
dresser raideur identitaire contre progressisme social. Par exemple, rester
attaché au magistère de l’Eglise n’est pas contradictoire avec un
investissement au service des plus pauvres. De même vous pouvez avoir à
cœur une liturgie soignée, avec grégorien et moult agenouillements, tout en
collaborant avec les autres acteurs sociaux à promouvoir le bien commun de la
cité, indépendamment de toute appartenance confessionnelle. Autrement dit, la
fidélité à l’enseignement de l’Eglise, le goût des traditions, ne vous
transforment pas automatiquement en adepte du statu
quo dans la réalité socio-politique.
Dans ces conditions,
assiste-t-on à ce fameux effet de balancier que certains guettent comme
l’aurore? Ce serait faire de l’image, ou du « style », la
mesure de la théologie. Or, pour l’Eglise, la doctrine, en son essence, possède
un nom: Jésus-Christ. Et il n’appartient à aucun pape, ni à aucun théologien,
de lui faire dire ce que l’air du temps ou les médias souhaiteraient lui
souffler à l’oreille, comme un ventriloque fait parler la poupée qu’il tient
entre les mains. L’Eglise n’est ni conservatrice, ni à la remorque des
idéologies du moment. Elle tente simplement, cahin-caha, de rester fidèle
à son fondateur. En son sein, François, même à son insu, ne représente donc pas
le pape de la revanche d’une faction sur une autre. Il reste, et c’est déjà
beaucoup, le serviteur des serviteurs de Jésus-Christ.
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L'AUTEUR
Jean-Michel Castaing est l'auteur de « 48 objections à la foi
chrétienne et 48 réponses qui les réfutent » aux Editions Salvator.
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