Le religieux peut être malade. Le
dogmatisme (je ne dis pas toute réflexion dogmatique) est une maladie du
religieux dans laquelle les réponses ont pris la place des questions. On
fabrique alors des questions taillées à la mesure des réponses que l'on
possède. Ce sont peut-être des questions que personne ne pose plus, mais que
devraient (dit-on) se poser les croyants. Dans un cadre de dogmatisme triomphant,
le propre du croyant est de poser les bonnes questions, c'est à dire celles
pour lesquelles les théologiens ont une réponse. Les anciennes réponses ont
jadis fait leurs preuves, c'est pourquoi elles peuvent paraître assurées.
C'est oublier qu'une nourriture qui a déjà servi ne peut justement plus être
assimilée.
Je me souviens que dans un bureau
du service de radio-télévision protestante à Paris, a figuré longtemps un
dessin humoristique où l'on voyait un défilé derrière une pancarte qui proclamait:
"Christ est la réponse" ! Cependant qu'un passant -sans doute un
peu distrait- demandait : "Quelle était la question ?".
En faisant de Jésus la réponse à
une question qui n'est pas posée, on fait du Maître un objet inutile. A
placer au grenier, comme une valeur de brocante. Nos caves et nos greniers
sont pleins, mais la maison est-elle habitable? Les bibliothèques sont
riches, mais le puits est sec et le four à pain ne fonctionne plus guère. On
pense honorer la vrait en vénérant les objets qui autrefois la signifiaient.
Mais alors nous risquons d'être comme ces médecins de Molière qui savaient
bien parler des maladies, mais non les guérir. Ou bien comme ces savants dont
parle Montaigne, qui optent volontiers pour un langage inaccessible au vulgaire
"pour ne découvrir la vanité de leur art".
L'homme ordinaire qui s'adresse à
d'autres hommes ordinaires est aujourd'hui prié de faire la preuve qu'il sait
de quoi il parle. C'est ce qu'on exige de tous les vendeurs, quelque soit
leur marchandise. Dis-moi qui tu es et je suis prêt à croire ce que tu dis.
Non le contraire.
Nous n'avons que faire d'une
religion qui nous propose des réponses sans entendre nos questions. Les vieux
habits doivent être changés à mesure que le corps prend forme. Et voici qu'on
voudrait revêtir un corps nouveau d'un vieil habit taillé autrefois. Un habit
bariolé dont tous les siècles ont fourni une pièce de couleur et de texture
différentes. Un habit par endroits usé jusqu'à la corde, mais surtout trop
étroit pour le corps qu'il prétend vêtir. De fait, l'habit chrétien comporte
quelques pièces étranges, ‑ souvenir d'un temps où la mode avait d'autres
exigences. Mais un corps en mutation -dont la forme n'est pas entièrement
connue- ne peut être revêtu d'un habit taillé aux époques anciennes. Et
comment reconnaît-on la forme que prend ce corps-là ? C'est aux questions
qu'il pose. Il les pose parce qu'elles se posent lui; non parce qu'il a appris qu'elles
devaient être posées.
Jacques Chopineau
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Ex site prolib.net
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