Oui, l’écho considérable suscité par le dernier livre de J. Moingt, peut être assimilé au fameux indignez-vous de Stéphane Hessel ; son succès en libraire l’atteste, comme la formation de nombreux groupes de lecture sur cet ouvrage (« Croire quand même »), tel celui d’Avignon auquel je participe. Ce phénomène paraît justifié à l’Auteur, car il répond à une prise de conscience lucide, face à une crise, « la plus grave que le christianisme ait connue depuis deux millénaires, parce qu’il s’agit d’une crise de civilisation ».
Cependant, en même temps, je constate que se renforce un processus d’enfermement de l’Institution ecclésiale qui se replie sur elle-même. La Croix (9-01-2012) souligne que Benoit XVI a donné « la priorité aux responsables de la Curie, promus quasi automatiquement au cardinalat. Ce qui explique la vague italienne de ce dernier consistoire ». Et son commentaire ajoute : « ce geste confirme que la tendance à l’internationalisation, mise en place par Paul VI, est pour la première fois inversée. »
Mais, outre le fossé qui sépare l’Église du monde actuel très évolutif, il se creuse aussi un écart grandissant entre les chrétiens laïcs et l’Institution. La désertion de nos Églises, l’atteste, fréquentées essentiellement par des personnes âgées, sauf une petite minorité de jeunes, dont la tendance souvent intégriste renforce encore davantage l’image repoussoir d’une Institution figée. Dans le diocèse d’Avignon, cette coupure générale est encore plus accusée, en raison de l’attitude de son évêque, lequel, loin d’être signe d’unité, exerce une autorité devenue source de souffrance et de division, au sein de son clergé comme des laïcs. Je connais certains qui partent discrètement pour aller vivre ailleurs, dans la société, un engagement d’inspiration chrétienne, d’autres qui s’interrogent avant de se diriger vers des groupes protestants…
Cet état de fait paradoxal est confirmé par Joseph Moingt, à propos du succès de ce livre : « J’ai reçu beaucoup de lettres de remerciements de laïcs et de prêtres, mais curieusement aucun écho de l’épiscopat ». Olivier Legendre fait un constat analogue, dans son deuxième ouvrage ; et de même, la prise de conscience exprimée actuellement par d’autres théologiens reconnus (M. Rondet, C. Théobald, Enzo Bianchi, P. Winninger…). Mais tout cela demeure ignoré de la hiérarchie… Alors, les chrétiens de base qui tentent de vivre leur foi, au sein de la société contemporaine, et pas seulement à l’intérieur d’une Institution close, s’interrogent. Comment présenter un autre visage du christianisme que celui affiché ordinairement par l’Institution ? Sans, pour autant, que ce visage soit exclusivement représentatif de la personne considérée…
Nous sommes donc conduits à déclarer impérativement : l’Église ne doit plus attendre pour sortir de son écorce religieuse, afin d’exposer simplement sa foi dans le message de l’Évangile : devenir chrétien, c’est devenir pleinement homme selon Jésus Christ ; car notre humanité n’est pas préfabriquée, mais elle est à construire librement, en nous et autour de nous. Cette construction représente une condition d’accès à la réalisation de notre vocation divine d’enfant du Père et frère du Christ. Ce message évangélique dévoile l’universalité de l’amour, dans la reconnaissance de l’altérité de l’autre et de l’Autre, reconnaissance qui culmine dans l’évocation de la communion trinitaire d’un Dieu unique, mystère qui concilie altérité et unité 1.
Ce message, libérateur et exigeant, concerne chacun de nous, vivant au sein des réalités changeantes de notre monde environnement, et dans lequel nous devons discerner ensemble les attentes de l’Esprit aujourd’hui. Car Jésus nous a laissé pour seul héritage une promesse : l’accompagnement de son Esprit, la mémoire de ses paroles et gestes, recueillis dans l’Évangile. Gestes et paroles à méditer, car ils demeurent riches de sens, aujourd‘hui comme hier. Ainsi, J. Moingt nous invite à reprendre, dans le langage de la raison sécularisée, ce que l’Église a gardé de son passé chrétien, afin de faire « prévaloir le pôle évangélique du christianisme sur sonpôle religieux (…) peut-être s‘écarter du visage longtemps traditionnel du catholicisme, dominé par son ritualisme hiérarchique (…) apprendre à penser sa foi autrement, à vivre autrement en Église » (ibid, p. 122-123).
Il faut ici rappeler une distinction capitale entre foi et religion, telle qu’elle a été introduite par le christianisme. À la suite de Marcel Gauchet (et d’autres agnostiques, spécialistes compétents, R. Debray, F. Lenoir…), il a été reconnu que l’originalité du christianisme consiste dans le phénomène suivant : « une sortie de la religion », pour s’ancrer dans une foi, la foi en Jésus-Christ. Certes, il reste difficile d’expliquer à nos contemporains comment la fermeture de notre Institution, a pu ignorer pendant des siècles (voire combattre) la reconnaissance publique des droits de l’homme, fondée cependant sur les idées chrétiennes de dignité, liberté, liberté, égalité, fraternité… Mais heureusement, en 1789, des chrétiens ont su témoigner : tels, parmi les laïcs, ceux qu’on intitulait alors « les chrétiens sociaux » et au sein du clergé, le rôle d’un certain Abbé Grégoire… À l’époque, ces témoins historiques anticipaient la recommandation présente de Joseph Moingt : contester la hiérarchie pour attester l’Évangile.
Francine Bouichou-Orsini (publié avec l'accord du Blog "Garrigues et sentiers")
1 – Joseph Moingt, Dieu qui vient à l’homme, 3 volumes, Ed. du Cerf, De l’apparition à la naissance de Dieu : tomes I & II, 2005 Du deuil au dévoilement de Dieu, 2008.
Exactement ce que je pense, exprimé en peu de mots.
RépondreSupprimerLe plus inquiétant, c'est le fossé entre les laïcs avec des théologiens lucides, d'un côté (un gros côté) et de l'autre la hiérachie avec un noyau traditionaliste pour ne pas dire intégriste.
Merci
Guy de Longeaux