lundi 25 juin 2012

Qui est Jésus pour nous ?


Il faut parfois lurgence du grand départ pour que notre foi prenne la parole et dise tout haut ce que notre cœur murmurait déjàdans le silenceCest ce qui est arrivé à Michel Jacquey (1934-2011),philosophe de formationqui a été chercheur/formateur au CNRSau service des jeunes en dif-ficulté.Après avoir pris ses distances avec la foi de son enfanceil a cheminé ces dernières années, en lisant Ettyy HillesumMaître EckhartAdolphe GeschéJoseph Moingt …, échangeant avec des amisprêtres  et des laïcs.
Atteint dun canceril a livré à lordinateur les lignes qui suiventle 22 septembre 2011 à 19hIl est  mort à minuitSa fille a lu ce texte à la messe dadieu.

                                           Anne Soupa - 22 juin 2012 (diffusé sur site CCBF)

Je ne pourrais absolument pas témoigner, comme d’autres sont sans doute en mesure de le faire, d’un amour brûlant pour la personne du Christ. Je mesure donc le caractère très limité de ce que je peux répondre à la question. Je pense même que, me concernant, il vient très vite un moment où il vaut mieux que je me taise.
Mon point de départ est le suivant. Comme nous tous, je suis hanté par le problème du mal. Du mal perpétré, comme du mal innocent. Il y a trop de choses dans ce monde qui sont vraiment de nature à nous faire perdre espoir. Une immense protestation s’élève en chacun de nous contre les injustices et les malheurs de ce monde.
Il est même possible que nous ne croyions en Dieu, que parce que quelque chose en nous se mobilise de façon trop pressante en faveur des souffrances et des malheurs du monde. Nous vivons dans un monde qui a trop besoin d’être sauvé.
On demandait un jour à Paul Ricoeur pourquoi il venait si souvent à Taizé. Il a répondu : « J’ai besoin de vérifier ma conviction qu’aussi radical que soit le mal, il n’est pas aussi profond que la bonté ! » Voilà une démarche forte où l’on peut suivre Ricoeur.
Le pouvoir agissant de la bonté: Voilà quelque chose auquel je crois. Et il est frappant de voir à quel point le Jésus des Évangiles est un Jésus qui apporte la guérison, un Jésus qui guérit. Pour évoquer ce Jésus guérisseur il y a une très belle expression de Jean-Baptiste Metz, qui évoque « le premier regard de Jésus ». Ce premier regard de Jésus ne porte pas d’abord sur l’universalisme du péché humain mais sur celui de la souffrance du monde. C’est « une prise de responsabilité pleine de commisération en faveur du monde. » Pour Jésus, le péché consistera dans le refus de prendre part à la souffrance des autres, dans le refus de voir au-delà du sombre horizon de sa propre histoire.

Ne sommes-nous pas devenus sourds face à cette prophétie qui déclare que c’est dans notre histoire profane que le Fils de l’homme vient nous rencontrer ? Dans la parabole du jugement dernier, il est dit : «En vérité, je vous le dis, ce que vous avez fait ou ce que vous n’avez pas fait au moindre d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait ou que vous ne l’avez pas fait. » Mt 25.
Si je comprends bien les prescriptions bibliques, en particulier celles de Jésus, il y a une « alliance avec Dieu» qui ne se vit et ne se maintient que grâce à notre façon de nous comporter envers la souffrance des autres… Si je vois juste, il s’agit d’une douloureuse implication dans la réalité, d’une profonde adhésion à «l’ici-bas». Pour dire les choses autrement, il s’agit d’une façon particulière de rester sans défense et incapable de se distancier face à la réalité, en idéalisant celle-ci ; il s’agit d’une inaptitude délibérée à se réfugier dans un « royaume de l’esprit » mythique.
Vers la fin du livre d’Olivier Le Gendre Confession dun Cardinal, on trouve ceci : « Comment voulez-vous que je sorte indemne de tout cela? » dit l’auteur à son cardinal qui l’avait invité à venir découvrir en Thaïlande la grande misère et les engagements humanitaires auxquels il consacrait désormais sa vie.
«Oui, indemne, vous dites bien. Nous ne sortirons pas indemnes de ce monde, répond le cardinal. Et c’est bien ainsi. Si tout le monde cherche à sortir indemne de sa vie et de sa propre histoire, si tout le monde cherche à se protéger, si tout le monde se « met à l’abri», que deviendrons-nous? Les peuples riches à l’abri de leur société consommatrice ; l’Église à l’abri de sa théologie, de son bon droit, de ses tentatives de restauration ; nous-mêmes à l’abri des malheurs de ceux que nous croisons et qui nous demandent un geste d’attention. Oui, que deviendrons-nous? « Nous serons une cymbale qui retentit, si la tendresse de Dieu ne passe pas par nous pour atteindre ceux que nous croisons sur nos routes. Mais pour cela, il faut accepter de ne pas être indemne. Il faut accepter que le malheur nous atteigne, que les personnes nous bouleversent. » Nous devrions prier le ciel de nous accorder la grâce de ne pas sortir indemnes de ce monde. Je dis bien: « …la grâce de ne pas sortir indemnes… »
En réalité, ou bien nos propos sur Dieu portent sur une vision et une promesse de justice universelle, ou bien ils sont vides et vains. Ce à quoi je veux croire, c’est donc à cela : « Il essuiera toutes larmes de vos yeux… »
L’affaire est tellement énorme qu’on se demande comment s’y prennent les croyants pour avoir sur une pareille question une absolue certitude, être absolument certains que telle est bien la finalité dernière du monde dans lequel ils sont nés.
Mais arrêtons-nous sur ce mot. « Avoir la certitude…» je n’aime pas beaucoup cette expression. Que certains se disent «habités» par une certitude, je le conçois comme une grâce qui leur serait faite. Mais « avoir la certitude.. » Non, je n’aime pas cette expression. Car rien, dans la foi chrétienne, ne s’appréhende dans le registre d’un savoir assuré. Le Dieu dont témoignent les évangiles se tient dans une lumière inaccessible.
Ce à quoi nous croyons ne s’appréhende que dans le registre d’une espérance. Pour moi, la foi demeure une énorme espérance. Et ce serait déjà beaucoup que d’être habité par cette espérance.
La bonté n’est pas seulement la réponse au mal, c’est aussi la réponse au non-sens.
Cependant la bonté ne résout pas le non-sens par des explications.
Elle ne le résout pas par un raisonnement.
Elle le résout d’une façon inexplicable.
Elle le guérit.
Si vous croyez un peu en cette bonté qui donne un sens, eh bien aventurez-vous dans cette espérance. Et si vous n’y croyez pas trop, eh bien aventurez-vous aussi. Aventurez-vous dans votre vie.

                                                                            Michel Jacquey

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