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Présentation du livre
par son auteur: Guy de Longeaux
1) Pourquoi ce livre ? Quelle était l’intention ?
Ce
livre a la particularité, parmi les nombreux livres sur Jésus, de se focaliser
sur ce qui paraît non crédible dans certains propos évangéliques pris à la
lettre et d’en chercher une signification crédible allant au cœur de la
foi. Je pense qu’une certaine image
invraisemblable de Jésus, faiseur de prodiges et entouré de merveilleux,
détourne de s’intéresser à lui et empêche de recevoir son message.
Tout
le livre est marqué par cette phrase de St Jean[2] :
« Dieu, personne ne l’a jamais vu,
mais si nous nous aimons les uns les autres, il demeure parmi nous ».
D’où le présupposé : Dieu est
invisible ; en Jésus, seul l’homme est « visible ». C’est dans
la réalité la plus humaine de Jésus que se révèle sa plus haute spiritualité.
Je me place
du point de vue de ses contemporains immédiats : ils ne voyaient qu’un
homme, un homme d’exception sans doute, mais pas autre qu’un homme, et pourtant
ils avaient déjà là toute sa vérité.
On peut voir
ce livre comme un témoignage, mais il est aussi le reflet des questionnements
de bien des gens d’aujourd’hui. Ce ne sont pas seulement mes réflexions
personnelles, car je m’appuie sur des experts, exégètes, historiens,
théologiens. Ce n’est pas un livre savant, mais de vulgarisation, pour un large
public, croyant ou incroyant
2) Deux idées-maîtresses et un enjeu :
a) Jésus est un homme selon toute la
définition de la condition humaine — sinon la notion d’incarnation n’a pas tout
son sens.
Les
manifestations surnaturelles qui
l’entourent paraissent surajoutées
par des évangélistes soucieux de témoigner de leur émerveillement par rapport à
celui qui les avait bouleversés ; déboussolés par sa mort cruelle, ils
relisent la Bible
en projetant sur lui des paroles de prophètes et de psaumes ; ils se
servent du « style apocalyptique » (visions de fin du monde, avec des
personnages lumineux et des voix venues du ciel qui délivrent un message) car les
Juifs de l’époque étaient dans une ambiance de proche fin du monde.
En deçà de ces
enjolivements, quel homme se laisse voir dans les récits évangéliques ? Un
homme ayant des talents exceptionnels d’orateur, de guérisseur, de maître
spirituel, et surtout passant son temps à s’occuper des autres, car tel était pour
lui le sens de la vie selon Dieu. Un homme découvrant peu à peu sa
mission, et même sa conception de Dieu (les 3 visiteurs[3]). Il
refusait de se laisser enfermer dans un personnage sacré, ou dans un libérateur
politique (il ne se nomme pas lui-même « Fils de Dieu », ni
« Messie »[4], mais
Fils de l’Homme). Il devinait ce qui l’attendrait à la fin, étant donné
l’hostilité des autorités religieuses. Il
prenait les gens pour ce qu’ils sont, sans faire de morale. Il se montre fin
psychologue, convivial, proche aussi bien des petites gens que des grands. Il
se révèle sensible à la féminité, ayant de forts liens d’amitié avec des femmes ;
c’est à des femmes qu’il a livré des points essentiels de son enseignement, mais
on a toutes raisons de penser qu’il est resté célibataire.
b) Jésus
n’est pas un homme « de religion ».
Pour
lui le souci de l’humain prévaut toujours sur toute obligation religieuse. On
ne le voit pas prêcher la pratique d’une religion, mais le « royaume de
Dieu », un monde où règnent fraternité, justice, paix, solidarité, selon
le désir de Dieu. Il n’a pas institué une nouvelle religion : il s’inscrit dans la foi juive qu’il dit
porter à son accomplissement. Il n’a laissé aucune consigne pour une
institution religieuse, faisant confiance à ses disciples pour s’organiser
après lui selon l’esprit qu’il leur avait inculqué. « L’adoration en esprit et en vérité », qui me semble le
sommet de son enseignement, c’est, se
relier à Dieu « en esprit », non pas dans
la matérialité de pratiques rituelles ou de lieux sacrés, et « en
vérité », dans l’amour du prochain sans
lequel il n’y a pas de véracité de la relation à Dieu, car « celui qui dit aimer Dieu alors qu’il hait son prochain est un menteur »[5].
On ne le voit
pas s’occuper lui-même particulièrement de culte ; simple laïc, il n’avait
pas d’habilitation religieuse particulière ; il n’était pas prêtre juif ;
il fréquentait les synagogues et le Temple, mais on l’y voit prendre la parole
plutôt que rendre un culte ; pour prier il s’isole dans la montagne ;
il enseigne de prier son Père sous le mode de la conversation et non de rites particuliers ;
pour faire mémoire de lui après sa mort, il n’appelle pas à une célébration
rituelle, mais à un partage fraternel en son nom au cours d’un simple repas.
A cause de ce
comportement si peu religieux, il est
toujours en butte aux autorités religieuses
qui font de leurs obligations sacrées une priorité absolue.
A l’égard de
Dieu, il témoigne d’une intimité singulière qui prédispose au don de soi aux autres,
et il dit à ses disciples qu’ils sont proches de Dieu quand ils font des autres
leurs prochains.
c) Un
enjeu : une relecture de certaines données de foi :
Voir
en Jésus un homme parmi les hommes, révélant Dieu au cœur de l’humanité, incite
à reformuler certaines notions de foi, par rapport auxquelles nombre de catholiques
sont en délicatesse[6], telles que la naissance virginale, la présence
réelle, la résurrection, et d’autres encore. Comment croire ce qui est
incroyable ?
Il est vrai
que soulever ces questions met en jeu des siècles de tradition et la cohésion
de la doctrine catholique. Pourtant ces questions se posent aujourd’hui. Des
théologiens font la constatation de contradictions entre certaines données
dogmatiques et les connaissances scientifiques et historiques actuelles concernant
la vie de Jésus et ils proposent, en
conséquence, une reformulation de certains dogmes. Un simple laïc peut
témoigner de son cheminement personnel à cet égard, avec néanmoins le souci de ne pas faire bande à part, mais d’être
en accord avec des personnalités reconnues dans l’Église, même peu
nombreuses.
On
peut ainsi faire une relecture de l’Annonciation
en voyant que l’intention de Luc est sans doute d’affirmer que, dès la
conception de l’enfant, Dieu faisait de lui son envoyé, son
« Fils », et que le père humain
de Jésus n’était pour rien dans ce dévolu que Dieu jetait sur l’enfant. La préoccupation de Luc est d’ordre
théologique et non biologique.
Est-ce
que Jésus avait des frères et sœurs ?
C’est affirmé depuis longtemps par les protestants, et aujourd’hui par un
certain nombre d’exégètes catholiques.
Les miracles, je vois Jésus les
attribuer à la foi des gens (« ta foi t’a sauvé »), à la confiance
qu’ils lui font. Quant à la réalité des faits qui sont à la base de chaque
« miracle », certains experts ont une méthode de critique historique
pour l’évaluer. Il faut sans doute admettre que Jésus avait un don particulier de guérisseur. Mais ce qui
comptait pour lui, ce n’était pas de se prévaloir d’un pouvoir divin, c’était
de faire tout ce qui était en son pouvoir pour remettre sur pied des gens mal
en point.
En
partageant le pain, lors de la
Cène , Jésus demande à ses disciples de s’associer au don
qu’il fait de sa vie, pressentant qu’elle va lui être prise le soir même. Le
« corps » en hébreu, c’est la personne. Le « sang », c’est
la vie. La notion de transsubstantiation n’est venue que beaucoup plus tard,
pour des raisons, semble-t-il, de logique intellectuelle qui ne sont plus les
nôtres.
Au
sujet de la résurrection, je mets en
évidence tous les doutes et les contradictions qui figurent dans les récits
évangéliques, laissant entendre qu’il ne s’agissait pas d’un fait observable,
ni localisable, mais d’une conviction partagée dans le registre de la foi.
3) Jésus continué dans l’Église
Les
4 derniers chapitres décrivent comment il s’est « continué » après sa
mort (selon le mot de Bossuet : « L’Église,
c’est Jésus-Christ continué »).
Dans les Actes
des apôtres, nous voyons l’Esprit
saint animer les disciples dans tout ce qu’ils font. Je l’interprète comme le
souci des disciples d’agir selon l’esprit que leur avait inculqué le Christ de
son vivant , et non comme leur mise sous tutelle, en quelque sorte, d’un Esprit
décidant à leur place.
Les
3 derniers chapitres sont très
critiques, en montrant d’abord le retour
en arrière qui a eu lieu dès la fin du second siècle avec la reprise de
conceptions religieuses du judaïsme, avec l’institution de prêtres ayant des
pouvoirs sacrés et tenant à distance le peuple des laïcs (des illettrés,
il est vrai, à l’époque).
Puis
un chapitre désigne le handicap actuel
de l’Église catholique, tel que le voient des théologiens et des prêtres
que je cite : ce handicap, c’est de rester centrée sur le culte et sur la
notion de sacerdoce — ce qui
empêche l’Église de réinventer son fonctionnement dans un esprit évangélique en
comptant, en particulier, sur le rôle essentiel des laïcs et, parmi eux, des
femmes.
Le
dernier chapitre concerne la
sécularisation de la société en montrant qu’elle est un milieu naturel pour
vivre la foi chrétienne.
Un enjeu : une autre façon de
« faire Église »
Reste
à imaginer une Église redéfinissant son
rôle en référence à une figure réactualisée de Jésus, montrant l’homme qu’il
fut, bien différent des idées reçues, redevenant proche et attrayant, au lieu d’être
rejeté a priori à cause de l’image pieuse ou invraisemblable et non crédible que
beaucoup en ont retenue de leur catéchisme.
Un
rêve est sous-jacent à tout le livre : celui d’une Église servante, fondée
sur des petites communautés rassemblant des chrétiens se soutenant les uns les
autres pour la mise en pratique d’un esprit évangélique au service de la
société, et entretenant cet esprit dans des célébrations se déroulant sous le
mode de la conversation et de la convivialité, en mémoire de la Cène , sans autres rites ou
paroles formelles que ce qui exprime une communion avec l’Église universelle.
Pourquoi ce rêve ne se réaliserait-il pas déjà ici ou là dans des petits
groupes que l’évêque du lieu serait appelé à reconnaître ?
[1] Éd. Temps Présent, 2014,
300 pages
[2] I Jn 4,12
[3] Cf. Livre de la Genèse , ch. 18, les 3
hommes rendant visite à Abraham
[4] à la Samaritaine qui évoque
le Messie, il ne fait qu’aquiescer
[5] 1ère épitre de
Jean, 4,20
[6] Cf. ce que m’écrit un
professeur de théologie émérite, Gérard Bessière : « Votre livre formule les questions que beaucoup portent en eux,
plus ou moins consciemment, sans parfois se les exprimer à eux-mêmes »
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