mercredi 2 septembre 2015

Pour une théologie crédible aujourd’hui :


Un essai décapant de Joseph Moingt, sj, sur la révélation et sur le croire: 

« Croire au Dieu qui vient : de la croyance à la foi critique » (éd. Gallimard, 2014, 600 pages)


Présentation d’ensemble
Dans la centième année de son âge, Joseph Moingt est bien loin d’avoir bouclé sa pensée. C’est la troisième fois qu’il nous propose une grande fresque théologique sur la révélation et sur le « croire » humain qui lui répond. Il s’agit toujours d’exprimer la foi de façon crédible pour les hommes d’aujourd’hui
La révélation, une histoire lue dans la foi
Il fait d’abord le constat que « nous n’avons pas trouvé de vraies preuves, vérifiables selon les procédures historiennes, d’une manifestation de Dieu dans un événement de l’histoire. … Dieu se révèle aux hommes par la foi qu’il leur inspire ».  Depuis des temps immémoriaux, les hommes furent animés par l’attente d’un salut. Face aux forces obscures et violentes de la nature, il y a toujours eu la croyance en une puissance supérieure capable de protéger l’homme. La surprise, c’est l’importance que l’auteur y attache en faisant le « lien entre l’espérance du salut aux origines de l’histoire humaine et la reconnaissance du  Christ comme sauveur de tous les hommes ». Alors quelle fut la révélation proprement dite ?
Du croire païen à la préhistoire d’Israël et à l’Ancien Testament vers la révélation en Jésus
La « révélation formelle » a-t-elle commencé avec l’histoire d’Israël ? Pas si simple !  « Les bouleversements récents de l’historiographie biblique, qui plongent  les origines du peuple hébreux dans le paganisme des empires du Moyen-Orient, ne permettent plus , en effet, au christianisme  de se ressourcer directement et uniquement à une révélation reçue au commencement des temps par les Patriarches d’Israël, mais rendent la foi chrétienne tributaire, à travers celle du Peuple juif, de la croyance universelle à un salut attendu d’un divin païen, et aussi du croire philosophique qui en est dérivé en Grèce ». Certes,  les Hébreux avaient bien fait de Yahvé un dieu national et exclusif, en ce sens qu’ils « ne toléraient pas qu’un culte officiel soit rendu à d’autres dieux», mais ils n’en contestaient cependant pas l’existence. C’est pourquoi l’auteur a dû « disjoindre la préhistoire d’Israël de l’histoire du salut constitutive de l’Ancien testament, {puis] rattacher la première au croire païen et la seconde au salut chrétien qui affirmera en être l’accomplissement ».

La révélation formelle commence avec la conversion d’Israël au véritable monothéisme, Ce n’est pas avant Josias (640-609 avant J.C) que s’imposera l’unicité de Dieu« La religion juive a été la seule à franchir ce pas avant l’ère chrétienne et c’est une exception qui mérite considération ». C’est à cette époque qu’a été mise par écrit une reconstitution de l’histoire d’Israël comme celle d’une alliance avec Yahvé : ce fut une œuvre collective constituant une Bible à partir de documents très variés et d’origines très diverses, si bien que l’on ne peut parler d’inspiration que comme celle de tout un peuple relisant son histoire en la réinventant.
La révélation expresse en la personne de Jésus est en continuité avec les derniers écrits de l’Ancien Testament, mais transforme la notion de « royaume de Dieu », en lui enlevant toute perspective de pouvoir politique, en ne liant plus l’obtention du salut à des obligations religieuses et en en faisant un « nouveau régime marqué par la sécularisation ou désacralisation de la foi introduite par la tradition sapientielle  », car le salut au nom de Jésus, reconnu comme Christ et Seigneur, se trouve dans l’humanisation du monde.
Jésus : Dieu fait homme ou homme prédestiné à devenir Dieu ?
C’est dans la deuxième partie de son livre que Joseph Moingt révèle sa remarquable créativité en  vue de proposer aux chrétiens un langage de foi intelligible pour notre époque. Dans le chapitre 3 sa réflexion s’est concentrée sur la révélation de Jésus comme Fils de Dieu, fondement des dogmes de la trinité, de l’incarnation et de la rédemption. Ce chapitre comporte trois lectures du Nouveau testament et de la tradition des premiers siècles, successivement du point de vue de la foi traditionnelle de l’Église, puis de l’histoire et de la raison critique et enfin du point de vue d’une foi critique visant à concilier les exigences des deux premières relectures, d’où de très intéressantes reformulations de la théologie classique sur des points essentiels. Son projet est de traduire en termes intelligibles aujourd’hui la grande ambition du concile de Chalcédoine (451) de proclamer Jésus à la fois « vrai Dieu et vrai homme ». Or, en pensant que la personne de Jésus n’est autre que celle du Verbe fait chair, la théologie classique prive Jésus, durant sa vie historique, de sa véritable « personne humaine consciente et responsable de soi » au sens que cette expression a pris de nos jours.
Comment, alors, rester fidèle au « vrai homme » de Chalcédoine ? Moingt résout la difficulté en s’appuyant sur St Paul, notamment Rom 1,3-4 — texte curieusement passé sous silence par la tradition — énonçant que c’est seulement à sa résurrection que Jésus a été glorifié, divinisé. Durant toute sa vie, il est un homme comme nous : il espère, doute, souffre, échoue, se trompe, prie, vit d’une foi comme la nôtre, sauf une conscience toute particulière de son lien intime avec le Père. C’est l’image qu’en donnent incontestablement les évangiles.
Préexistence de Jésus ? Simplement dans l’intention divine éternelle de salut des hommes.
Que penser, alors, de la doctrine de la préexistence ? Nous la proclamons chaque dimanche en récitant le credo de Nicée-Constantinople: "Je crois en un seul Seigneur, Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles. "  Or l’auteur ne peut que contester cette préexistence  comme vie personnelle individuelle : on ne peut exister avant d’être né. Cette notion n'est nulle part mentionnée dans les Ecritures ; dans l’acception du dogme, il y a substitution indue d’un sujet à un autre : ce n’est pas Jésus qui préexistait à lui-même, c’est une autre personne, le Fils unique de Dieu, qui est censé préexister à ce qu’elle allait devenir en acceptant de naître d’une femme. C'est pourquoi, pour en rester à la foi en Jésus « vrai homme et vrai Dieu », Joseph Moingt pense que « la préexistence de Jésus n’était qu’intentionnelle dans la pensée de Dieu qui projetait ainsi efficacement le destin salvifique de Jésus … » Il remet donc en cause la formulation des conciles sur l’incarnation, mais il en sauve l'intention essentielle car, au final, Jésus a bien été à la fois vrai homme dans l’histoire avant d’entrer pleinement dans la vie divine par sa mort et sa résurrection.

Comprendre les mystères de la foi selon ce projet salutaire de Dieu
Cette préexistence intentionnelle qui est « identiquement » le projet divin d’adoption des hommes, amène à comprendre la trinité, selon les Écritures, comme le déploiement de l’amour qui est Dieu et qui rayonne hors de lui dans l’histoire des hommes. De même l’incarnation est vue comme l’accomplissement du projet éternel de Dieu sur Jésus pour le salut de tous les hommes : elle est donc « l’œuvre indivise de Dieu trinité tout entier ». Durant sa vie, le lien tout à fait spécial et intime de Jésus avec son Père ne lui épargne rien du tragique de la condition humaine. Et la rédemption n’est pas le sacrifice du Fils exigé par le Père pour le rachat du péché des hommes comme l’a prétendu une doctrine qui se voulait à la fois adversaire du Judaïsme et héritière de ses traditions et qui a été longtemps développée dans des théologies de sacrifices, d’expiation, de « satisfaction » jusqu’au concile de Trente qui les a confirmées. L’idée d’un Dieu vindicatif exigeant une expiation est contraire à toute la révélation du Dieu d’amour dans le Nouveau Testament. Son projet d’adoption filiale « est identiquement la préexistence intentionnelle du Christ dans sa pensée. ». La foi dans le « nouvel Adam » nous conduit à la nouveauté de l’humanisation apportée par la rédemption.
Dans le même esprit, il apporte un éclairage nouveau sur la doctrine mariale : la croyance en la naissance virginale de Jésus a conduit la tradition à accorder à celle-ci des privilèges fondés essentiellement sur de la littérature apocryphe et qui l’isolaient du reste de l’humanité. La tentation est forte de rejeter tous ces mythes. Moingt s’y refuse en observant que, dans le projet de Dieu sur Jésus, Marie tient une place exceptionnelle, mais qui ne doit aucunement la couper de l’histoire des hommes. Il donne à sa virginité un sens symbolique de consécration totale au projet de Dieu sur son fils, et voit dans le cantique de Marie l’illustration de la libération évangélique de la femme.
En conclusion, de même que les premiers conciles ont fait, de la foi exprimée par les évangélistes, une lecture lui apportant une nouvelle compréhension, de même la théologie d’aujourd’hui a pour tâche de renouveler l’intelligence de la foi en rapport avec les questions de notre époque. Joseph Moingt est persuadé de reconnaître au long de ce parcours, « non pas exactement la même intelligence de la foi, mais la même foi » (p. 372) fondée sur la résurrection et s’exprimant par la profession baptismale originaire (« au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit »).
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Après ce chapitre 3, consacré essentiellement à la relation Père-Fils, nous attendons avec impatience le chapitre 4, en cours de rédaction, sur la relation Esprit-Église. Gageons que celui-ci nous permettra de « réfléchir aux graves problèmes qui se posent actuellement à notre Église »,  comme nous le promet l’auteur.
Jean Housset - Guy de Longeaux       






                                                                       Jean Housset     Guy de Longeaux

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