Un essai décapant de Joseph Moingt, sj, sur la révélation et sur le croire:
« Croire au Dieu qui vient : de la croyance à la foi critique » (éd. Gallimard, 2014, 600 pages)
Présentation
d’ensemble
Dans la centième
année de son âge, Joseph Moingt est bien loin d’avoir bouclé sa pensée. C’est
la troisième fois qu’il nous propose une grande fresque théologique sur la
révélation et sur le « croire » humain qui lui répond. Il s’agit
toujours d’exprimer la foi de façon crédible pour les hommes d’aujourd’hui
La
révélation, une histoire lue dans la foi
Il fait
d’abord le constat que « nous n’avons pas trouvé de vraies preuves,
vérifiables selon les procédures historiennes, d’une manifestation de Dieu dans un événement de l’histoire. …
Dieu se révèle aux hommes par la foi qu’il leur inspire ».
Depuis des temps immémoriaux, les hommes furent animés par l’attente d’un
salut. Face aux forces obscures et violentes de la nature, il y a toujours eu
la croyance en une puissance supérieure capable de protéger l’homme. La
surprise, c’est l’importance que l’auteur y attache en faisant le « lien entre l’espérance du salut aux
origines de l’histoire humaine et la reconnaissance du Christ comme sauveur de tous les
hommes ». Alors quelle fut la révélation proprement dite ?
Du
croire païen à la préhistoire d’Israël et à l’Ancien Testament vers la
révélation en Jésus
La
« révélation formelle » a-t-elle commencé avec l’histoire
d’Israël ? Pas si simple !
« Les bouleversements
récents de l’historiographie biblique, qui plongent les origines du peuple hébreux dans le
paganisme des empires du Moyen-Orient, ne permettent plus , en effet, au
christianisme de se ressourcer
directement et uniquement à une révélation reçue au commencement des temps par
les Patriarches d’Israël, mais rendent la foi chrétienne tributaire, à travers
celle du Peuple juif, de la croyance universelle à un salut attendu d’un divin
païen, et aussi du croire philosophique qui en est dérivé en Grèce ».
Certes, les Hébreux avaient bien fait de
Yahvé un dieu national et exclusif, en ce sens qu’ils « ne toléraient pas
qu’un culte officiel soit rendu à d’autres dieux», mais ils n’en contestaient
cependant pas l’existence. C’est pourquoi l’auteur a dû « disjoindre la préhistoire d’Israël de
l’histoire du salut constitutive de l’Ancien testament, {puis] rattacher la première au croire païen et la
seconde au salut chrétien qui affirmera en être l’accomplissement ».
La révélation
formelle commence avec la conversion d’Israël au véritable monothéisme, Ce n’est pas avant Josias (640-609 avant
J.C) que s’imposera l’unicité de Dieu. « La religion juive a été la seule à franchir ce pas avant l’ère
chrétienne et c’est une exception qui mérite considération ». C’est à
cette époque qu’a été mise par écrit une reconstitution de l’histoire d’Israël
comme celle d’une alliance avec Yahvé : ce fut une œuvre collective
constituant une Bible à partir de documents très variés et d’origines très
diverses, si bien que l’on ne peut parler d’inspiration que comme celle de tout
un peuple relisant son histoire en la réinventant.
La révélation
expresse en la personne de Jésus est en continuité avec les derniers écrits de
l’Ancien Testament, mais transforme la notion de « royaume de Dieu »,
en lui enlevant toute perspective de pouvoir politique, en ne liant plus
l’obtention du salut à des obligations religieuses et en en faisant un « nouveau régime marqué par la
sécularisation ou désacralisation de la foi introduite par la tradition
sapientielle », car le salut au nom de Jésus, reconnu comme Christ et
Seigneur, se trouve dans l’humanisation du monde.
Jésus :
Dieu fait homme ou homme prédestiné à devenir Dieu ?
C’est dans la
deuxième partie de son livre que Joseph Moingt révèle sa remarquable créativité
en vue de proposer aux chrétiens un
langage de foi intelligible pour notre époque. Dans le chapitre 3 sa réflexion
s’est concentrée sur la révélation de Jésus comme Fils de Dieu, fondement des
dogmes de la trinité, de l’incarnation et de la rédemption. Ce chapitre
comporte trois lectures du Nouveau testament et de la tradition des premiers
siècles, successivement du point de vue de la foi traditionnelle de l’Église,
puis de l’histoire et de la raison critique et enfin du point de vue d’une foi
critique visant à concilier les exigences des deux premières relectures, d’où
de très intéressantes reformulations de la théologie classique sur des points
essentiels. Son projet est de traduire en termes intelligibles aujourd’hui la
grande ambition du concile de Chalcédoine (451) de proclamer Jésus à la fois
« vrai Dieu et vrai homme ». Or, en pensant que la personne de Jésus
n’est autre que celle du Verbe fait chair,
la théologie classique prive Jésus, durant sa vie historique, de sa véritable
« personne humaine consciente et responsable de soi » au sens que
cette expression a pris de nos jours.
Comment,
alors, rester fidèle au « vrai homme » de Chalcédoine ? Moingt
résout la difficulté en s’appuyant sur St Paul, notamment Rom 1,3-4 — texte
curieusement passé sous silence par la tradition — énonçant que c’est seulement à sa résurrection que Jésus
a été glorifié, divinisé. Durant toute sa vie, il est un homme comme
nous : il espère, doute, souffre, échoue, se trompe, prie, vit d’une foi
comme la nôtre, sauf une conscience toute particulière de son lien intime avec
le Père. C’est l’image qu’en donnent incontestablement les évangiles.
Préexistence de Jésus ? Simplement dans
l’intention divine éternelle de salut des hommes.
Que penser, alors, de la doctrine de la
préexistence ?
Nous la proclamons chaque dimanche en récitant le credo de
Nicée-Constantinople: "Je crois en un seul Seigneur, Jésus-Christ, le Fils
unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles. " Or l’auteur
ne peut que contester cette préexistence
comme vie personnelle individuelle : on ne peut exister avant
d’être né. Cette notion n'est nulle part mentionnée dans les Ecritures ;
dans l’acception du dogme, il y a substitution indue d’un sujet à un
autre : ce n’est pas Jésus qui préexistait à lui-même, c’est une autre
personne, le Fils unique de Dieu, qui est censé préexister à ce qu’elle allait
devenir en acceptant de naître d’une femme. C'est pourquoi, pour en rester à la
foi en Jésus « vrai homme et vrai Dieu », Joseph Moingt pense que « la préexistence de Jésus n’était
qu’intentionnelle dans la pensée de Dieu qui projetait ainsi efficacement le
destin salvifique de Jésus … » Il remet donc en cause la formulation
des conciles sur l’incarnation, mais il en sauve l'intention essentielle car,
au final, Jésus a bien été à la fois vrai homme dans l’histoire avant d’entrer
pleinement dans la vie divine par sa mort et sa résurrection.
Comprendre les mystères de la foi
selon ce projet salutaire de Dieu
Cette
préexistence
intentionnelle qui est « identiquement » le projet divin d’adoption
des hommes, amène à comprendre la trinité,
selon les Écritures, comme le déploiement de l’amour qui est Dieu et qui
rayonne hors de lui dans l’histoire des hommes. De même l’incarnation est vue
comme l’accomplissement du projet éternel de Dieu sur Jésus pour le salut de
tous les hommes : elle est donc « l’œuvre
indivise de Dieu trinité tout entier ». Durant sa vie, le lien tout à
fait spécial et intime de Jésus avec son Père ne lui épargne rien du tragique
de la condition humaine. Et la rédemption n’est pas le sacrifice du Fils exigé
par le Père pour le rachat du péché des hommes comme l’a prétendu une doctrine
qui se voulait à la fois adversaire du Judaïsme et héritière de ses traditions
et qui a été longtemps développée dans des théologies de sacrifices,
d’expiation, de « satisfaction » jusqu’au concile de Trente qui les a
confirmées. L’idée d’un Dieu vindicatif exigeant une expiation est contraire à
toute la révélation du Dieu d’amour dans le Nouveau Testament. Son projet d’adoption
filiale « est identiquement la préexistence intentionnelle du Christ
dans sa pensée. ». La foi dans le « nouvel Adam » nous
conduit à la nouveauté de l’humanisation apportée par la rédemption.
Dans le même
esprit, il apporte un éclairage nouveau sur la doctrine mariale : la
croyance en la naissance virginale de Jésus a conduit la tradition à accorder à
celle-ci des privilèges fondés essentiellement sur de la littérature apocryphe
et qui l’isolaient du reste de l’humanité. La tentation est forte de rejeter tous
ces mythes. Moingt s’y refuse en observant que, dans le projet de Dieu sur
Jésus, Marie tient une place exceptionnelle, mais qui ne doit aucunement la
couper de l’histoire des hommes. Il donne à sa virginité un sens symbolique de
consécration totale au projet de Dieu sur son fils, et voit dans le cantique de
Marie l’illustration de la libération évangélique de la femme.
En conclusion, de même que
les premiers conciles ont fait, de la foi exprimée par les évangélistes, une
lecture lui apportant une nouvelle compréhension, de même la théologie
d’aujourd’hui a pour tâche de renouveler l’intelligence de la foi en rapport
avec les questions de notre époque. Joseph Moingt est persuadé de
reconnaître au long de ce parcours, « non pas exactement la même intelligence de
la foi, mais la même foi » (p. 372) fondée sur la résurrection et
s’exprimant par la profession baptismale originaire (« au nom du Père et
du Fils et du Saint-Esprit »).
* * *
Après ce chapitre 3, consacré
essentiellement à la relation Père-Fils, nous attendons avec impatience le
chapitre 4, en cours de rédaction, sur la relation Esprit-Église. Gageons
que celui-ci nous permettra de
« réfléchir aux graves problèmes qui se posent actuellement à notre
Église », comme nous le promet
l’auteur.
Jean
Housset Guy de Longeaux
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