Une réunion de chrétiens se tenait
il y a peu, dans une salle d’une maison diocésaine Les
participants étaient d’âge certain ; quelques
têtes moins grises surnageaient cependant à la crête
de ces vagues blanches.
Le murmure des flots était
plutôt lugubre : « Nous sommes peu nombreux
dans nos paroisses, et, pour la plupart, nous sommes âgés. »
Une voix s’éleva :
« Si nous sommes peu nombreux, nous avons cependant la foi
et la volonté que l’Evangile soit connu. Quant à
l’âge qui nous écrase, c’est nous qui nous
laissons écraser par l’âge. La foi dynamique d’un
vieux vaut celle d’un plus jeune, elle a, en plus, le poids de
l’expérience. »
Prenons nos paroisses en charge,
baptisés que nous sommes, à la manière dont les
premiers disciples ont lancé les premières communautés
de fidèles de Jésus-Christ. Pour ce faire,
replongeons-nous dans notre histoire initiale, dégageons
écumes et varech et toutes ces plantes parasites qui, au long
de la vie de l’Eglise, ont envahi les eaux pures du début,
les eaux cristallines baptismales des bords du Jourdain.
Les pages qui suivent
voudraient aborder quelques questions qui semblent aujourd’hui
dans l’actualité ecclésiale et théologique.
-Comment Jésus
quittant les siens a-t-il voulu rester présent ?
-En quelles mains Jésus
s’est-il alors confié ?
-Quelle mission a-t-il
proposée ?
-Comment recevoir
aujourd’hui Jésus et son message ?
-Cela peut-il réorienter
la vie de nos communautés ?
-Cela peut-il réorienter
notre théologie ?
-Cela peut-il réorienter nos
vies ?
-Qui est-il cet homme à
stature divine ?
-Que nous dit-il de nous
par rapport à lui ?
-Enfin, qui sommes-nous
dans la famille de Dieu ?
-Et à quoi cela
nous engage-t-il ?
Repensant à cette réunion tenue à
la maison diocésaine, je me dis : « Les
Apôtres, dont Paul, ne se questionnaient pas sur leur âge ;
les petites communautés lancées par Paul à
Salonique ou Philippe, à Ephèse ou Corinthe ne se
lamentaient pas sur leur nombre. Ils partageaient et le pain et
leurs biens : Jésus ressuscitait en eux !
Ou veux-tu que nous préparions ta
pâque ?
A la dernière Cène,
Jésus fait la pâque avec ses Disciples.
« Le premier
jour des azymes, (jour où l’on immolait la Pâque,)
ses Disciples lui disent : « Où veux-tu que
nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la
pâque ? » (Mc.14,12) Et il envoie deux de ses
Disciples (Luc dit que c’était Pierre et Jean), et leur
dit : « Allez jusqu’en ville. Et il se
rencontrera près de vous un homme portant une cruche d’eau ».
Ce sont les femmes qui, à
l’époque et en ces lieux, sont chargées de ce
travail ; il ne sera donc pas difficile aux disciples de repérer
le porteur d’eau.
Jésus continue :
« Suivez-le, et, où il entre, dites au maître
de la maison : « Le Maître dit : où
est ma salle, où je pourrai manger la pâque avec mes
Disciples. » Et il vous montrera une chambre à
l’étage, grande, munie de tapis, toute prête. Et
c’est là que vous ferez les préparatifs pour
nous. ».Mc.14/13-17)
Pour être clair
sur la personnalité des convives de ce repas pascal, Marc dit
bien que le soir venu, Jésus se rend à cette maison
« avec les Douze », ceux qu’on appelle
« apôtres » : « apostoloi »
On peut comprendre que Jésus arrive avec ceux qui le côtoient
en permanence. Ils ont passé la journée ensemble, comme
d’habitude. Mais d’autres disciples, ceux que l’Evangile
appelle « mathêtai », ces disciples sont,
comme d’habitude, avec lui ou pas loin, ou déjà
dans la maison. Les Femmes disciples sont sans doute là,
préparant le repas de la Pâque avec les femmes de la
famille qui accueille… C’est le travail des femmes là
aussi, et en ce temps.
La pâque est le repas qui se
fait en famille. Le livre de l’Exode décrit avec
précision la cérémonie de ce repas :
(Ex.12/3-10). « Le 10 de ce mois (le premier des mois de
l’année, le mois d’Abib, le mois des épis,
qui correspond à notre avril-mai.), procurez-vous chacun une
tête de petit bétail par famille : une tête
de petit bétail par maison. Si la famille est trop peu
nombreuse pour consommer l’animal, on s’associera avec
son voisin le plus proche de la maison, selon le nombre des
personnes. Vous tiendrez compte de l’appétit de chacun
pour déterminer le nombre des personnes. »
Notons que l’animal
est « petit bétail », agneau ou
chevreau.
On le mange en entier. S’il en
reste, on le brûle au feu dès le point du jour suivant.
« Vous n’en réserverez rien pour le
lendemain. Ce qui en resterait au point du jour, vous le brûlerez
au feu. » (Ex.12/10). Cet ordre est peut-être donné
afin d’éviter toute profanation, car cet animal est
saint de quelque manière. Ce peut être aussi en prélude
de ce que sera la manne que l’on ne devra ramasser que pour
l’alimentation du jour-même.
Bien que ce ne soit pas
un festin pour lequel on prendrait son temps : « Vous
le mangerez en toute hâte » (Ex. 10/11), ni une
rencontre de fête pour laquelle on se serait paré :
« Vous le mangerez ainsi : les reins ceints, sandales
aux pieds, le bâton à la main ». (Ex.12/11),
la proposition divine tient compte des nécessités
humaines : « Vous tiendrez compte de l’appétit
de chacun pour déterminer le nombre des convives. »
(Ex.12,4).
Puisque la pâque est un repas
de famille, on peut penser qu’à cette dernière
pâque terrestre, Jésus et ses disciples ont invité
avec eux une partie des leurs.
On peut aussi penser que le « maître
de maison », celui qui a prêté cette grande
salle de sa demeure à Jésus, n’est pas exclu de
ce repas de fête. En effet, on imagine mal que Jésus ait
pu dire à cet homme et à sa famille: « Merci
pour ta salle, mais va plutôt faire ta pâque ailleurs ».
Marie, mère de Jésus,
doit en être de ce repas, sinon où aurait-elle fait la
pâque, elle que le lendemain, vendredi, on trouve au pied de la
croix, et Marie-Madeleine qui, le lendemain, elle aussi, sera au
Calvaire.
Jésus, sachant
qu’il fait là son repas d’adieux, a peut-être,
humain qu’il est comme nous, voulu inviter un certain nombre
d’amis. Cette pâque est, pour Lazare, la première
depuis sa « résurrection » Cette
« résurrection » est une annonce de la
Résurrection de Jésus. Lazare pourrait bien être
là comme prophète du futur proche. Marthe et Marie,
sœurs de Lazare, seraient sans doute les bienvenues pour
épauler ce témoignage.
Enfin, l’Eucharistie
étant le signe du partage de l’Amour divin, savoir si
celui qui, dans une parabole avait fait inviter par le « maître
de maison » tous les miséreux de la rue, savoir si
Jésus n’aurait pas invité à sa table, pour
ce repas d’au revoir, quelques exclus de la société
d’alors : (cf. Mt, 22,9)…
L’iconographie
nous a habitués à ne voir avec Jésus que les
Apôtres, et cela nous trompe, car ces peintures de Cènes
auxquelles nous sommes habitués ne sont pas du début
du Christianisme. Par contre, dans les catacombes de Priscille à
Rome, une fresque du dernier quart du premier siècle dépeint
le banquet céleste: des femmes y sont présentes.(cf.
Golias hors série n°2, p.31) .
A ce repas, il y a donc des hommes,
des femmes et des enfants.
C’est à ces gens que
Jésus va partager le pain, c’est à eux, qu’en
fin de repas, il fera passer la coupe de vin.
C’est à eux qu’il
dira : « Faites ceci en mémoire de moi »
( Lc.22/19).
La charge de partager pain et vin est donc donnée
à la communauté entière et non aux seuls apôtres
et à ceux qu’ils délègueraient.
Enfin, comme rappel aux indécis, le prêtre
présidant l’eucharistie ne dit-il pas :
« La veille de sa Passion, il prit le
pain…le bénit, le rompit et le donna à ses
disciples en disant : « Prenez… ».
« mathêtès » n’est pas
« apostolos » .
La délégation,
Jésus la donne, au Peuple de la Pâque ; c’est
donc comme le rappelle Vatican II, la communauté qui célèbre,
le prêtre qui la préside, faisant lien avec l’évêque,
et par lui, avec l’Eglise universelle.
« Vous
ferez cela en mémoire de moi. »
Jésus n’a pas voulu
d’Eglise nous disent les exégètes d’aujourd’hui,
mais elle s’est faite naturellement comme association, suivant
les lois de la sociologie.
Voyons-en le développement,
d’autant qu’il nous semble très éclairant
pour notre époque.
Le groupe des disciples grandit très
vite, trop vite pour être organisé. Les Actes des
Apôtres (2/1 ss.) nous présentent les scènes de
la Pentecôte. Au milieu de la foule Pierre prend la parole,
avec même quelque humour (Act.2/15). Il doit y avoir autour de
lui et des autres apôtres pas mal de monde pour que 3000
personnes décident de se joindre à eux (Act.2/41).
Ces gens ont compris le
message de Jésus : ils partagent aussitôt leurs
biens : (Act.2/44) pour que « chacun reçoive
selon ses besoins » (Act. 2/43) : belle phrase des
Actes des Apôtres va parcourir les siècles et deviendra
un leitmotiv pour beaucoup.
Une telle population et
la somme des biens qu’elle « met sur la table »
pourrait-on dire, va exiger un début d’organisation.
C’est alors que les Apôtres déclarent à
l’assemblée des nouveaux disciples : pour nous,
notre travail c’est de parler de Jésus ; il ne nous
reste plus assez de temps pour nous occuper des problèmes
matériels de la communauté. Choisissez sept personnes
parmi vous pour prendre en charge cette fonction (cf.Act. 6/1-6 ).
Nous reviendrons plus loin à
cette référence des Actes qui devrait nous apporter une
étonnante lumière sur le vécu actuel de
l’Eglise.
Si à Jérusalem
l’Eglise s’organise avec « les 12 »,
il ne faut pas oublier l’action du 13ème
que l’Esprit est allé récupérer sur le
chemin de Damas, l’apôtre Paul.
Mis à l’écart par
les 12, il va faire ce pour quoi il se sent embauché.
Dès les débuts, nous
voyons Paul aller de région en région, à travers
l’Asie Mineure, sa contrée : il est de Tarse, ville
située près du golfe qui pourrait être le point
de séparation entre la presqu’île de Turquie et
l’Asie Mineure. Il connaît là beaucoup de monde
grâce à sa profession de tisseur de toile. Il plante où
il peut des communautés qu’il laisse, confiant leur
épanouissement à l’un ou l’autre de ses
membres.
Ainsi, à Philippe, ville de
Macédoine, les Actes des Apôtres (16/11-15) nous
apprennent qu’une certaine Lydie, « négociante
en pourpre » accueille Paul pendant son séjour dans
cet endroit. Paul parti, qui prendra soin de cette communauté ?
Lydie sans doute, première chef de communauté…première
femme prêtre ? …Mais il est vrai que les
« prêtres » n’apparaîtront
que bien plus tard, lorsque l’Eglise se sera complètement
organisée, vers le tournant du IVème Vème
siècle. Cf. Herbert Haag « Quelle Eglise Jésus
a-t-il voulue ? ».
Ces communautés chrétiennes
se réunissent pour prier, parler du Seigneur Jésus et
partager leur repas ainsi que l’avait fait Jésus moult
fois, et particulièrement à la dernière Cène.
Le partage n’est
pas toujours ce qu’il devrait être : certains
apportent force provisions pour eux et laissent sans partager des
frères qui ont faim. (1 Cor. 11/17 ss.) Cette description que
fait Paul nous fait imaginer une rencontre comme nous en faisons
parfois avec “sandwich hors du sac” après un
partage de vie et une célébration eucharistique. Il est
vrai que dans ces « repas » il y a toujours
pour tous et au-delà : (cf. Mc.8,19-20).
« Nous
continuerons en mémoire de toi. »
Les disciples ont désormais
organisé l’assemblée christique plus ou moins
comme elle est aujourd’hui. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Il y a des diocèses
avec à leur tête un évêque…plusieurs
même dans les diocèses plus peuplés. Les diocèses
sont divisés en doyennés, lesquels sont subdivisés
en paroisses.
La paroisse ! ce mot vient du
grec : para oikion : voisinage des maisons, groupe de
maisons voisines. Les évêques seraient bien
inspirés s’ils remettaient le nez dans leur dictionnaire
grec, eux qui appellent « paroisse » des
étendues de plusieurs kilomètres carrés. Car les
paroisses regroupent actuellement 4 à 10 ou 15 villages,
puisqu’il n’y a plus assez de prêtres. Une paroisse
en France correspond parfois à la superficie d’un
diocèse en Italie.
Quant aux responsables
des paroisses, que dire de l’âge moyen du clergé ?
autour des 70-75 ans… pour le moment.
Un prêtre
« dessert » tout ce territoire, aidé
parfois d’un diacre.
Le diacre est un homme, pas une
femme. Mais la femme du diacre, s’il est marié, a dû
donner son accord et dans bien des cas fait œuvre de « diacre »
non reconnue. Les femmes n’ont pas leur place autour de l’autel
alors que Jésus en était entouré.
Selon une théologie
maintenant dépassée, seul le prêtre avait le
droit de « célébrer » l’Eucharistie;
alors comment partager l’Eucharistie aux fidèles ?
Pour pallier l’absence
de prêtres, plusieurs solutions sont en cours aujourd’hui:
- rassembler en une
seule église, le dimanche ou le samedi soir…le
covoiturage existe diable ! clament les partisans de ce système.
- célébrer d’église
en église.
J’ai vu un jour
près de Lille, un prêtre de 80 ans arrivant, titubant
sous les années, dans une église où l’assemblée
attendait depuis un bon moment. La messe était à 11h.,
c’était la 3ème
messe de la matinée dominicale que cet homme venait célébrer.
La messe fut pénible à suivre, le sermon peu audible,
mais la messe du dimanche avait été dite.
Ailleurs il y aura les
ADAP : « Assemblées du Dimanche en l’Absence
de Prêtre », devenues ADP: «Assemblées
De la Parole ».
On ira chercher des
hosties consacrées dans une autre église pour que la
communion soit distribuée. Ces ADAP-ADP, préconisées
un temps, sont aujourd’hui mises en cause par certains
évêques, en France. Elles ont fleuri des années
1970 à 1980. Rome a voulu en 1988 cadrer ces rencontres de
fidèles. « Les évêques ont-ils pris
peur ?…Pourtant rien ne les empêchait de poursuivre
leur lancée » remarque le théologien
François Wernert dans un article de La Croix . Une double page
de « La Vie » du 15 décembre 2011 disait
même que le pape souhaitait y revenir. Certains diocèses,
Strasbourg a commencé il y a plusieurs années, éditent
des livres qui permettent aux fidèles de se rassembler pour
ces rencontres dominicales. A l’expérience, cela permet
à des croyants d’exprimer ce qu’ils savent de
l’Evangile, de le confronter à d’autres points de
vue, de s’enrichir mutuellement, enfin, de faire pénétrer
l’Evangile dans leur vie et de pénétrer leur vie
de l’Evangile.
Si nous revenions à
la saine théologie et aux origines de la Tradition, les choses
seraient pourtant si simples.
Comme nous l’avons
dit, on le voit au jour où est constituée la première
communauté chrétienne, celle qui, pour une bonne part a
vu vivre Jésus, l’a fréquenté. Ces gens
« se montraient assidus à l’enseignement des
apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à
la fraction du pain et aux prières. » (Act.2/42).
« Jour après jour, d’un seul cœur, ils
fréquentaient assidûment le Temple et rompaient le pain
dans leurs maisons, prenant leur nourriture avec joie et simplicité
de cœur ».
Si nous lisons bien, la première
communauté fait l’Eucharistie, « le partage
du pain… dans leurs maisons. »
Qui « préside »
cette « fraction du pain » « dans
leurs maisons » ? il n’y aura des « prêtres »
qu’au IVème, Vème siècle, on l’a
déjà dit.
Quant aux apôtres, que
font-ils ? Revenons aux Actes :6/2-4.
Lors d’une petite
rébellion dans la première communauté, « les
Douze convoquèrent l’assemblée des disciples et
leur dirent : « Il ne sied pas que nous
délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables.
Cherchez plutôt parmi vous, frères, sept hommes…et
nous les préposerons à cet office ; quant à
nous, nous resterons assidus à la prière et au service
de la parole ».
Le rôle des
apôtres, de leurs successeurs et de leurs « lieutenants »
est clairement défini là : la prière, la
parole, c'est-à-dire : l’enseignement.
Or, quelle est notre
réalité aujourd’hui ? Les évêques
s’occupent beaucoup du « service des tables »
semble-t-il, mais leurs « lieutenants », dans
les paroisses, quelle affaire ! il faut les suivre !
Certains se disent « les patrons » ; la
plupart régissent toute la vie paroissiale. Lorsqu’ils
n’arrivent plus à tout tenir dans leurs mains, ils
délèguent mais surveillent. Et lorsque la tâche
est à telle dimension que « veiller sur »,
« surveiller » n’est plus à portée
de leur vue, encore moins à portée de vue des
« épi-scopes », ils se gardent la messe
qui ne peut être célébrée sans eux.
L’un des évêques
des plus ouverts que nous connaissions le répétait
encore : la messe doit être célébrée
avec un prêtre…il ne disait cependant pas, « par
le prêtre ». On commence à dire que le prêtre
« préside » et non plus « célèbre »
l’Eucharistie : Vatican II, dans sa Constitution sur la
Liturgie, n°33, le déclarait déjà. Les
fidèles, eux, « offrent la Victime sans taches, non
seulement par les mains du prêtre, mais aussi ensemble avec lui
ils apprennent à s’offrir eux-mê mes »
id. n° 48.
Mais, le clergé
s’accroche à cette fonction. J’ai entendu des
prêtres me dire : « si nous n’avons plus
la messe, qu’est-ce qu’il nous reste à faire ? »
Or, les Apôtres disent clairement que leur rôle est de
« rester assidus à la prière et au service
de la parole ». L’Eucharistie, la « fraction
du pain », elle se fait, comme la pâque :
« dans les maisons ».
Aujourd’hui, on
peut imaginer les chrétiens se réunissant et
choisissant l’un d’eux qui l’accepterait pour être
leur coordinateur pendant quelques années 3 ou 5 ans.
Cette personne, homme ou femme, pourrait garder son travail à
mi-temps : tout arrangement est possible. La communauté
aurait à la dédommager, au niveau local ou plutôt
diocésain ou national. D’autres personnes prendraient en
charge comme cela se fait déjà, préparation au
baptême, au mariage, aux obsèques, participeraient au
catéchisme, en y intéressant les familles des
catéchisés. Les charges réparties cohéreraient
la communauté, chacun se trouvant avec une responsabilité,
et se tenant responsable de la remplir.
Afin que la relation à
l’Eglise universelle soit marquée, l’évêque
donnerait son accord au choix du coordinateur et des autres
responsables, ce serait l’envoi en mission qui se fait dans
certains diocèses
La communauté se réunirait
pour le partage de l’Eucharistie comme dans les débuts,
chacun participant au « Faites ceci en mémoire de
moi. »
Par toi, le tissage
du lien social pour le « partage ».
La rencontre des
chrétiens pour le « partage » n’est
plus efficace. Les chrétiens ne se connaissent plus : ils
se rencontrent bien pour la messe, mais se dispersent ensuite sur les
différentes communes.
Puisque dans le village,
dans le quartier, il y a une église : c’est autour
de cette « maison » que la communauté
chrétienne doit se refaire, sur le modèle que nous
décrivions et qui se trouve déjà dans les
chrétientés d’Amérique du Centre et du
Sud. La communauté va avoir à se reconstituer et à
se prendre en charge selon la proposition des Actes : 6/1-7.
Selon aussi la réflexion du cardinal Marx, l’un des
hommes du G9, proche du pape François, réflexion
rapportée dans La Croix du 1er
octobre 2013 : « Certains catholiques pensent encore
qu’un prêtre doit être présent pour que
l’Eglise fonctionne. C’est absurde. »
Ce même numéro
de La Croix rapporte que « Lorsqu’il était
cardinal, Jorge Bergoglio confiait son admiration pour les
communautés chrétiennes au Japon restées sans
prêtres durant plus de deux cents ans, mais où les
« laïcs avaient pu vivre leur mission apostolique ».
Déjà des travaux se
font sur les diocèses.
Parlons d’expérience.
Notre « paroisse »
est constituée de quatre villages. C’est dans le village
central que nous nous réunissons le dimanche pour la messe.
Par contre, obsèques et mariages se célèbrent
dans l’église de chacun des villages.
Une équipe de
trois à quatre personnes s’est chargée des
obsèques.
On prépare la
cérémonie de préférence dans la famille
du défunt.
Notons qu’avoir
affaire à un laïc plutôt qu’à un
prêtre, personne d’autorité, facilite le
dialogue. On se « retient » toujours devant
l’ « autorité ».
Les obsèques
sont, vous le savez, le moment où la famille se réunit,
dépassant les tensions, anciennes parfois. On essaye, avec
elle, de rappeler au souvenir les images les plus positives de la vie
du défunt, de la défunte, afin de présenter
cette personne qui a « quitté » son
village, au mieux de l’exemple qu’elle a pu y donner.
Ce rappel de la vie du défunt
devrait aider la famille à commencer son deuil : ce
travail de distanciation et de présence dans le souvenir qui
permet de garder la présence dans l’absence.
A cette occasion nous
rencontrons des gens, nous équipe « permanente »,
à une profondeur de vie, avec une vérité
d’expression que la famille elle-même n’avait
parfois même pas réalisée. Nous révélons
ces gens à eux-mêmes ! Mais, cette « connaissance »
partagée, qu’allons-nous en faire si nous ne revoyons
jamais ces personnes ? Or nous ne les reverrons guère,
car les villages sont éloignés et chacun vit dans son
propre environnement avec ses voisins, ses activités
associatives.
Il faudrait que chaque
village, chaque quartier en ville, ait ses propres équipes,
chargées des obsèques, mais aussi des préparations
au mariage, des préparations au baptême et des
catéchismes, s’ils existent encore.
Durant cette cérémonie
d’obsèques, il m’est arrivé de prendre
place dans l’église au milieu de telle famille amie.
Dois-je le dire ? la cérémonie est bien plus
« participée » lorsqu’elle est
menée par l’équipe que par le prêtre. Des
gens me disent que notre relation au monde n’est pas la même.
La manière d’être dans le monde sans être du
monde n’est sans doute pas la même pour les baptisés
non-prêtres et pour les prêtres.
Faut-il alors exclure les prêtres ?
Non bien sûr, mais les remettre à leur juste place,
celle que les apôtres revendiquaient : la prière et
le service de la parole (cf. Act. 6/4.)
De nos jours, le service
de la Parole est souvent déficient, or, chers frères
prêtres, vous avez été préparés par
des années de séminaire à la connaissance de
l’Ecriture, de l’Histoire de l’Eglise dans ses
élans et ses désastres. Vous avez approfondi ce que
nous appelons « dogmes », ces énonciations
qui ne doivent plus être des paroles que l’on répète,
mais des définitions que l’on regarde comme de grands
espaces ouverts à notre réflexion, à notre
méditation, à notre assimilation, jusqu’à
nous permettre de les dépasser lorsqu’ils seront devenus
nourriture de nos vies.
Mais d’abord, vous
prêtres, vous avez à faire ce travail pour vous-mêmes.
Et c’est un rude travail, car, dans nos cours de théologie,
on nous a plutôt appris à répéter pour
ensuite porter la « vérité définie »
donc définitive, plutôt qu’à approfondir
jusqu’à dépasser ces définitions, valables
sans doute un temps, utiles pour poser un jalon à une
réflexion, parfois pour mettre un point à une véritable
guerre théologique, mais point qui doit être plus
d’interrogation que point final.
Nous reviendrons sur la
dogmatique, travaillée de nos jours par les théologiens
qui veulent pour l’avenir des bases solides et clairement
énoncées.
Ton Eglise entière
aujourd’hui à l’œuvre
Il est essentiel que les
chrétiens puissent vivre et le rassemblement et le partage. Le
partage de l’eucharistie est pour que l’Eglise vive,
essentiel.
Le Père Yves
Congar disait, au cours d’une conférence donnée à
l’Université de Strasbourg en I970, cette phrase qui m’a
été rapportée : « Du moment
qu’on a admis des personnes au baptême, on a le devoir de
leur assurer l’Eucharistie. Ou on ne baptise pas, ou, que les
baptisés passent outre et célèbrent
l’Eucharistie. »
« Phrase en
l’air » m’ont dit certains. Il est vrai que ce
n’est là qu’une phrase rapportée, je n’ai
donc pas le texte sous les yeux, mais je lis dans la thèse du
théologien Jean Rigal : « Ministères
dans l’Eglise », soutenue en 1979 et dirigée
par Pierre Eyt, alors recteur de l’Institut catholique de
Toulouse, des textes de poids qui vont dans le sens des paroles de
Congar à Strasbourg. Je les livre maintenant à votre
étude.
Le théologien et
cardinal W. Kasper écrit dans la revue « Concilium »
n°43, p.22 : « Si les chrétiens se
réunissaient dans une situation extrême…Pour
célébrer un repas commun en mémoire de la
volonté ultime de Jésus, le Christ serait certainement
présent parmi eux ; il y aurait communion avec l’Eglise
et avec son ministère officiel au moins in voto. S’agirait-il
là d’une Eucharistie au sens formel du terme ?
C’est une question qui n’a pas été discutée
jusqu’à présent, mais qui perdrait de sa force
explosive si l’on réfléchissait qu’il y a
divers degrés de densité dans la réalisation de
l’Eucharistie et différentes manières pour le
Christ d’être présent. »
Analysons-en quelques
points de ce texte.
« Célébrer
un repas commun en mémoire de la volonté ultime de
Jésus », n’est-ce pas exactement ce que Jésus
ordonne à ses disciples (mathetai , et pas apostoloi) de faire
« en mémoire » de lui ? N’est-ce
pas faire l’Eucharistie ?
« Il y aurait
communion avec l’Eglise et avec son ministère officiel
au moins in voto ». Pour éviter le schisme dans
l’Eglise du Christ, le lien avec l’évêque
est essentiel. Il l’est du côté de l’assemblée
qui vient le demander. Mais, si l’évêque venait à
le refuser, il serait bon qu’il dise pourquoi. Serait-ce parce
que la communauté n’est pas assez fervente, pas assez
honnête dans ses pratiques ? L’épiscopat ne
donne-t-il pas son accord à certaines communautés,
aujourd’hui et depuis des années, oublieuses du simple
respect des personnes petites et grandes, qu’elles se targuent
d’amener au Christ ?
« C’est
une question qui n’a pas été discutée
jusqu’à présent ». Elle l’est
maintenant et depuis des années. Nos évêques
l’entendent mais beaucoup se refusent à répondre
et nous disent : il faut que nous en référions à
Rome…Et nous savons que, si toutefois la question est posée,
la réponse ne viendra pas…enterrement sous la Coupole
de St Pierre ? à moins que Rome n’évolue.
« Cette
question perdrait de sa force explosive si l’on réfléchissait
qu’il y a divers degrés de densité dans la
réalisation de l’Eucharistie et différentes
manières pour le Christ d’être présent ».
Il eut été intéressant de demander au cardinal
W. Kasper ce qu’il entendait par ces « degrés
de densité dans la réalisation de l’Eucharistie ».
Ne s’agit-il pas là justement, de la participation que
mettent les fidèles dans leur présence à
l’Eucharistie ? « Ils participent
consciemment, pieusement et activement » (Constitution
Liturgie, n°48) C’est bien ce que nous apportons au Christ
et à l’Eglise qui fait une Eucharistie plus ou moins
dense. Le Christ est toujours là par sa présence. Et
puis, théologiens, il ne faut pas oublier les « différentes
manières pour le Christ d’être présent »…
« Ce que vous avez fait au plus petit… »
mais cette présence-là est plus lourde à porter
et surtout plus envahissante.
La thèse de Jean
Rigal apporte d’autres textes à notre réflexion
sur « la messe ».
Hans Küng y est
appelé à apporter sa pierre, de scandale, dira-t-on
bien sûr, puisque c’est lui qui l’apporte, mais
difficilement rejetable au plan de l’exégèse. Qui
célébrait l’Eucharistie à Corinthe? des
ministres institués ? Il aurait pu poser la même
question sur les Eucharisties célébrées à
Thessalonique après le départ de Paul.
« Que se
passe-t-il, écrit Hans Küng, si un chrétien tombe
dans une telle situation missionnaire et que, en vertu de son
sacerdoce universel et sous l’impulsion de l’Esprit, il
rassemble un petit groupe, une petite communauté grâce à
son témoignage chrétien personnel, qu’il la
baptise et qu’il célèbre le repas du Seigneur
avec elle ? Sa célébration de l’Eucharistie
pourrait-elle être valide comme celle des Corinthiens en
l’absence de Paul ?...Voilà des problèmes
dont on peut au moins discuter. Même abstraction faite de ces
données exégétiques…dans une Eglise où
tout chrétien peut administrer le baptême de nécessité …
qui dans toutes les difficultés possibles parle d’un
« supplet Ecclesia »…(n’y
aurait-il pas) aussi un « supplet DEUS » encore
beaucoup plus vaste et plus efficace ? »
(« L’Eglise ». Ed. Desclée de
Brouwer 1968, p.608).
Ce texte de 1968 écrit par un
expert, un « peritus » du concile Vatican II,
semble écrit aujourd’hui, en pensant à ces
communautés d’Amérique latine réunies par
un ou une catéchiste, « sous l’impulsion de
l’Esprit ».
Jean Rigal fait observer
en note dans sa thèse, que la « Sacrée
Congrégation pour la Doctrine de la Foi a censuré cette
opinion ». La question n’en reste pas moins posée.
La Sacrée Congrégation a répondu « non »sans
argumenter sa réponse. Or, le rôle de tout bon
professeur, sinon de bon juge, est d’argumenter ses décisions.
Seul Dieu est infaillible ! C’est justement tout une
démonstration de Hans Küng qui a écrit pour cela
un livre : « Infaillible ? Une interpellation… »
Ed. Desclée de Brouwer 1971.)
Au soutien de cette
réflexion, Jean Rigal apporte un texte de L. Boff, théologien
brésilien qui relie à l’Eglise des premiers temps
les communautés actuelles de chrétiens quasi hors
d’atteinte dans ces immenses territoires des Amériques,
« Communautés de base privées pour longtemps
et de façon irrémédiable de ministre ordonné…La
communauté grâce à ses coordinateurs, est en
communion avec les autres Eglises sœurs et avec l’Eglise
universelle, elle désire ardemment l’Eucharistie…Le
célébrant non ordonné serait le ministre
extraordinaire du sacrement de l’Eucharistie…toujours
désigné ad hoc… » («Eglise en
Genèse » Ed Desclée 1978, pp.90 à
100).
Je passe sur la citation
que fait Jean Rigal de C. Duquoc, retenant seulement cette phrase :
« Il n’existe de communauté au plein sens du
terme que là où est célébrée
l’Eucharistie. » (Revue des Etudes, janvier 1979 p.
106).
Henri Denis, lui aussi
« peritus » au concile Vatican II, toujours
cité par Jean Rigal, a cette ouverture que l’on trouve
aussi chez Joseph Moingt : dans la communion de l’Eglise
qui s’établit à travers le ministère
apostolique, une délégation pastorale, principe admis
dans le catholicisme, pourrait permettre « une Eucharistie
de petits groupes, une Eucharistie de grand groupe de type
presbytéral, une Eucharistie épiscopale… »
La petite communauté aurait son président (ou sa
présidente ?) reconnu(e) par l’évêque
et célébrerait l’Eucharistie selon ses besoins.
Elle se retrouverait avec le prêtre en charge d’autres
petites communautés semblables pour une Eucharistie plus
festive. Et l’on pourrait organiser de grandes assemblées
où l’évêque réunirait prêtres,
diacres, responsables de communautés et tout le Peuple de Dieu
pour signifier l’unité de l’Eglise diocésaine
aux grandes fêtes de la Liturgie.
Ecrivant cela, je pense
aux communautés établies sur l’archidiocèse
de Poitiers, que j’ai visitées. Je revois leur
assemblée dans la cathédrale de Poitiers, au jour des
« adieux » d’Albert Rouet, leur
archevêque, aux chrétiens de l’archidiocèse.
Là était l’Eglise : un monde au service de
l’Evangile, dans toute sorte d’engagements :
politiques, syndicaux, associatifs, religieux. Ce jour-là, les
« Petites Communautés » du diocèse
exprimaient la vie de l’Eglise.
Au fondement de sa
thèse, Jean Rigal apporte la pierre d’Yves Congar,
lequel prend l’histoire à témoin et
dogmatiquement la dépasse : « L’histoire
ne nous précise pas d’autre moyen normal d’établir
des célébrants de l’Eucharistie et de relier leur
ministère à celui des apôtres, sinon par
l’imposition des mains, c’est-à-dire par
l’ordination. Le ministère de l’unité qui
est par excellence celui du collège des évêques,
assure l’authenticité du sacrement de l’unité.
Nous ne voulons connaître d’autre règle que
celle-là. Nous pensons que,
dogmatiquement, on ne peut pas exclure l’hypothèse qu’un
autre chose soit possible. »
(Nouvelle revue théologique, octobre 1971, p.795).
Cette dernière
phrase laisse ouvert l’avenir. Elle relie l’Eglise
d’aujourd’hui à celle des premiers chrétiens.
Elle vient, discrètement, soutenir la phrase controversée
par certains, prononcée à Strasbourg en 1970 par le
même Yves Congar.
Oui, cette ouverture de
l’Eglise était bien en germination sous la coupole de
Saint Pierre au temps de Vatican II. La curie romaine l’a
cachée sous son chapeau rond, (sotto il Copolone), mais là,
malgré tout, elle a mûri pour les pontificats futurs.
Pourquoi mon insistance
sur la « paroisse », sur son fonctionnement
régulier abrité par son église et sur l’espace
sociologique du village ou du quartier ? C’est qu’à
l’expérience, on se rend compte
- que l’éloignement du lieu de culte amène l’éloignement de la « pratique religieuse » : on perd conscience du besoin que l’on a, chrétien, de rencontrer Jésus de l’Evangile,
- que l’éloignement du lieu de culte, de son absence éventuelle, distant et détisse les liens sociologiques entre les chrétiens d’un même village, d’un même quartier,
La relation au « Divin »
n’étant plus soutenue par ces « cadres
sociologiques », les chrétiens se déshabituent
de la relation à la personne de Jésus.
On voit bien là
pourquoi les évêques de France déplorent la
fermeture, le délabrement, la vente des maisons-églises,
témoins de la foi, temples de son renouvellement grâce
aux baptisés.
Mais, qui es-tu, Jésus ?
Pour répondre à cette
question, il faut se rapprocher au plus près des textes de
l’Ecriture et y chercher :
- ce que Jésus
dit de lui à ceux qui le côtoient,
- ce que ses premiers
disciples comprennent de ce qui leur est transmis,
- enfin, ce que Paul,
au plus près, écrit sur lui.
Mais regardons d’abord comment
l’Eglise constituée a construit sa doctrine sur lui.
Nous l’avons
appris au catéchisme, je l’ai appris en théologie
et l’ai enseigné: Jésus est Dieu, Fils de Dieu le
Père, et uni au Père par l’Esprit qui procède
du Père et du Fils.
Aux questions que nous nous posons
sur Dieu, la réponse est « mystère »,
nous pourrions dire aujourd’hui : « boîte
noire ». Pourra-t-on essayer de l’ouvrir ?
Dans les premiers temps,
le christianisme, qui s’est distancié du judaïsme,
cherche à mieux comprendre « Dieu »,
Jésus étant venu en donner une connaissance nouvelle.
Des réunions théologiques se succèdent :
les premiers conciles œcuméniques vont tenter de donner
une compréhension plus accessible de cette connaissance sur
Dieu que Jésus a dévoilée.
C’est au milieu de
mille essais-erreurs qu’avance cette compréhension :
le gnosticisme chrétien, les attentes du retour du Christ, les
schismes de prêtres, d’évêques, les
« hérésies » dont celle d’Arius,
plus tard de Nestorius…
Pour l’arianisme, le Verbe, le
Logos, le Christ, ne peut être qu’une créature de
substance différente du Père et adoptée par lui
comme son fils. En somme son fils n’est pas Dieu.
Arius sera condamné au concile
de Nicée, en 325.
Les questions sur la personne de
Jésus continueront à alimenter les querelles
théologiques. Au Vème siècle se pose la question
cruciale : en Jésus, Dieu et homme y a-t-il deux
natures : nature divine, nature humaine ? Sa divinité
et son humanité sont elles deux natures ou une seule ? Le
concile de Chalcédoine tranchera : deux natures en une
seule personne. Mais la question continuera à se poser.
Que manifestes-tu de toi Jésus ?
La réflexion
théologique actuelle aidée des apports de l’exégèse,
éclairée par l’ histoire, l’archéologie,
la psychologie, semble s’orienter vers une autre compréhension
de qui est Jésus. Serait-il un homme comme nous ? Comme
nous, apprendrait-il par l’expérience son métier
de « charpentier » sans doute, mais aussi tout
ce qui est l’évolution humaine de chacun de nous ?
On découvre qu’il
évolue dans la compréhension de sa mission. Il semble
prendre conscience d’elle progressivement. Alors qu’il se
pensait envoyé « aux seules brebis perdues de la
maison d’Israël » (Mt.15/24), la
syrophénicienne , par la foi qu’elle manifeste, et qu’il
découvre chez cette femme, aussi grande que celle de tant de
fils d’Israël, semble l’étonner et le faire
réfléchir. Sans doute se dit-il alors : si le Père
a donné une telle foi à cette femme, c’est que
vers elle aussi et ses semblables je suis envoyé.
Jésus est bon et bon
pédagogue, mais il donne parfois des leçons peu
pédagogiques : pourquoi rebuter quand on peut faire
évoluer ? Ainsi dans la parabole du publicain : là
il semble remettre à leur place ses contradicteurs plutôt
qu’enseigner ce qu’est l’amour du prochain.
Lorsqu’il félicite le
dixième lépreux qui est revenu sur ses pas pour le
remercier de sa guérison, Jésus met quelque amertume
dans la remarque qu’il fait: « …et c’était
un samaritain ».
Si notre sociologie fait son
évolution sur le « genre », il semble
que Jésus la fasse lui, dans l’évolution de son
attitude envers les femmes. Entendons la réponse à sa
mère aux noces de Cana et son attitude au puits de Jacob. On a
beau édulcorer les termes, il ne dit pas moins « femme »
à sa mère à Cana. Par contre, dans son dialogue
avec la samaritaine au puits de Jacob, c’est d’égal
à égale que se déroule la discussion avec cette
femme.
Il évolue aussi sur le sens de
la liturgie juive. Enfant il est allé au temple de Jérusalem
comme tout juif pour faire son devoir religieux, en soumission.
Adulte, il y va en contestation de cette liturgie. Il a compris que
Dieu n’est pas ce Dieu qu’on lui a enseigné,
enfant, ce Dieu qui sent l’Egypte ou la Mésopotamie, ou
encore le Mont Sinaï et le sacrifice d’Abraham. Ce n’est
pas de béliers ou de taureaux que Dieu a besoin, mais de notre
cœur.
Sa théologie
dogmatique, pourrait-on dire, évolue aussi. Le Dieu
tout-puissant que l’on adorait au temple est devenu le Père
qui aime et qu’il veut aider comme lui-même a aidé
Joseph, son père, dans son travail de charpentier : « Ne
fallait-il pas que je sois au travail de mon Père ? »
De même que notre
pratique religieuse évolue aujourd’hui, ainsi la
« pratique religieuse » de Jésus. Il
tient compte des circonstances. Lui qui ne veut pas qu’on
enlève un iota de la Loi, il prend la défense de ses
disciples affamés qui, un sabbat, passant près d’un
champ arrachent quelques épis de blé : (Lc. 6/1
ss ; Mc.11/2ss ; Mt.12/1.ss)). Il en arrive même
à énoncer cet adage qui est devenu comme une loi gravée
maintenant dans la mémoire de notre époque : « le
sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le
sabbat. » La loi est faite pour aider l’homme à
mieux vivre et non l’homme pour que vive la loi.
Invité, dans la
synagogue de Capharnaüm, à lire puis à commenter
un texte d’Ecriture, lui, fidèle à la Loi, se
permet de s’écarter du commentaire qu’il a mainte
fois entendu, de la glose habituelle, pour donner sa propre
interprétation, ce qui le fera pousser hors de la synagogue
sous les huées des clercs.
Enfin, Jésus nous
dit bien par la négative ce qu’il se sent être
lui-même : je ne suis qu’un homme puisque je suis
ignorant d’une chose qui ne peut échapper à la
connaissance de Dieu : la venue de la fin du Monde. Il semble
même qu’il l’imagine proche cette fin : « Le
royaume de Dieu est proche ». C’est même ce
qu’il demande aux 72 disciples d’annoncer dans les villes
où il doit se rendre
(Lc.10/ ss.). S’agit-il dans ce
passage de l’annonce de la Bonne Nouvelle ou de l’arrivée
de la fin du monde ? On peut se poser la question.
En Marc ( 9/1) les
choses semblent claires : la fin du monde est à taille de
vie humaine: à l’époque on atteignait
difficilement la soixantaine. « En vérité je
vous le déclare, parmi ceux qui sont ici certains ne mourront
pas avant de voir le règne de Dieu venu avec puissance ».
Et en : 13/24-32, après une description de la fin du
monde, « Vous aussi quand vous verrez cela arriver, sachez
que le Fils de l’homme est proche…mais ce jour ou cette
heure nul ne les connaît ni les anges du ciel ni le Fils,
personne sinon le Père. » Comme le remarque une
note de la T.O.B, si Jésus a la connaissance divine. ces
paroles posent problème.
Dans d’autres pages d’évangile,
Jésus se distingue lui-même du Père.
En Jean,14/28, il dit : « Le
Père est plus grand que moi ».
En Marc, 9/37 :
« Celui qui m’accueille, ce n’est pas moi
qu’il accueille mais celui qui m’a envoyé. »
Dans la « prière
sacerdotale » aussi : Jo.17/1-4 : Il demande que
les hommes connaissent le Père : « Toi le seul
vrai Dieu », et le connaissent aussi lui, l’envoyé
du Père.
Le verset suivant peut
faire diversion: « Et maintenant, glorifie-moi, toi, Père,
auprès de toi, de la gloire que j’avais auprès de
toi avant que le monde existe ». Il peut s’interpréter
de l’éternité de Jésus, égale à
celle du Père, ce qui nous amène à nous demander
ce qu’est pour nous, hommes, cette vie que nous souhaitons
« éternelle » et pas seulement
« immortelle » à toute personne au
moment de sa mort. Si les mots ont un sens, ces termes seraient à
retravailler, ce qui, au rouet, poserait question sur ce que nous
sommes : « éternels » ?
Dans toute la prière
sacerdotale Jésus revient sur la distinction entre lui et le
Père, ce qui peut être interprété comme
prière de l’homme Jésus adressée à
Dieu. Sans doute dit-il que le Père et lui sont un, mais il
dit par ailleurs que lui et nous sommes un. Qui sommes-nous donc,
nous, par rapport à lui ? Le chapitre : « Qui
sommes-nous donc, nous les humains », nous éclairera
peut-être à ce sujet.
Un trait de la psychologie bien
humaine de Jésus apparaît en Marc 8/32-33.
Jésus vient
d’annoncer sa fin avec assez de précisions :
souffrir, être persécuté par le clergé,
les savants de la Loi, être mis à mort, mais avec cette
certitude de garder la vie. Pierre, avec autorité, n’est-il
pas l’aîné qui en a vu d’autres, prend Jésus
à part et lui fait des reproches. Jésus réagit
très fort, et pas seul à seul avec Pierre, mais devant
les autres disciples. Lorsqu’on a une très grande peur
de ce qui va vous arriver, on réagit avec force et si possible
en public, face à celui qui veut vous rassurer, vous protéger,
comme pour bien affirmer en le niant, ce que l’on voudrait ne
pas voir arriver. Alors que je dis avec force : cela
arrivera ; je me dis avec désespoir : si seulement
cela n’arrivait pas !
A certains moments
cruciaux l’homme a besoin de beaucoup parler, pour partager sa
peur bien sûr, pour se rassurer surtout. Ainsi Jésus aux
chapitres 13 à 17 de Jean, longuement, par des gestes forts :
le lavement des pieds, - le partage du pain au dernier repas n’est
pas rapporté par Jean - et de lourdes paroles de prières,
au long de cinq chapitres, il livre son testament : Ultima
Verba.
Autre trait de
psychologie bien humaine, Jésus se montre comme un simple
débateur, avisé certes, dans certaines circonstances.
Ainsi Marc, (11/15) rapporte l’intervention de Jésus
chassant les marchands hors du temple et s’appuyant pour être
bien épaulé, sur la parole de Dieu : (Isaïe
56/7) : « Ma maison s’appelle maison de
prière pour tous les peuples » ; (Isaïe
7/11) « A vos yeux est-ce une caverne de voleurs ce temple
qui porte mon nom ? »
Toujours en Marc
(11/27), rapporté aussi dans Mathieu et Luc et Jean, mais en
d’autres circonstances, on voit Jésus se camper
astucieusement devant la lourde armée des opposants, « l’armée
rangée en bataille » dirait le psaume :
« Pendant que Jésus allait et venait dans le
temple, les prêtres, les maîtres de la loi et les anciens
vinrent auprès de lui. Ils lui demandèrent : « De
quel droit fais-tu ces choses ? Qui t’a donné
autorité pour les faire ? » En réponse
Jésus se permet de leur poser une devinette… « …
si vous trouvez, je vous dirai de quel droit je fais cela ! »
Il faut lire les quelques versets de la fin de ce chapitre !
Jésus les embrouille, en Sologne on dirait : les enfume !
Marc rapporte d’autres
accrochages d’homme à homme entre Jésus et les
autorités : sur la monnaie qui est à l’effigie
de César (Mc.12/14), sur la question discutée
alors, de l’ « avenir » de la veuve
qui a eu successivement sept maris : (Mc. 12/18) : « C’est
parce que vous ne connaissez ni les Ecritures ni la puissance de Dieu
que vous êtes dans l’erreur »…Jésus,
ce laïc, ancien menuisier qui n’est pas passé par
les Ecoles et qui sort ça, à cet aréopage !
On ressent les
sentiments très humains de Jésus dans ces
affrontements : émotion, énervement, envie de les
envoyer tous au diable, c’est le mot. Et on peut se demander
quelle réflexion profonde il peut bien se faire en ces
moments, lui qui sait que ces gens sont ses frères ? Ne
réfléchit-il pas comme nous lorsqu’après
une querelle nos nous faisons reproche de notre dureté ou
satisfaction de notre réussite ?
Ce Jésus qui
éprouve ce que nous éprouvons nous est proche.
Pourtant, nous avons appris et enseigné un autre Jésus :
un faiseur de miracles, un homme parfait en tout. Il nous
impressionne ce Jésus, trop céleste pour être
imitable. Ses miracles n’étaient-ils pas présentés
dans notre théologie comme preuve de sa divinité et
argument pour affermir notre foi ? Le sont-ils encore dans le
« Catéchisme de l’Eglise Catholique » ?
Aujourd’hui, les
miracles n’impressionnent qu’à l’instant où
on les déclare : on en a vu tellement d’autres !
La théologie qui enseigne
Jésus Dieu-Homme ne passe plus. Plus encore, elle ne sert à
rien. Comment regarder comme modèle quelqu’un
d’inatteignable, un Dieu-Homme parfait, loin de nous, même
s’il se met dans une peau humaine ?
Dans les des Actes
des Apôtres comment les premiers chrétiens te voient ?
Si, en scrutant les évangiles,
nous découvrons en Jésus un homme semblable à
nous, nous pouvons aussi nous demander comment les premiers disciples
le considéraient.
Une lecture attentive
des Actes des Apôtres semble nous dire que Jésus y est
regardé seulement comme homme, instrument de Dieu. S’il
était considéré comme Dieu, c’est à
lui que seraient attribués les actes extraordinaires signalés
dans les Actes des Apôtres. Or ces actes ne lui sont pas
attribués à lui comme le sont les miracles dans les
évangiles, mais à Dieu qui agit par lui pour lui.
Jésus y est dit
« serviteur de Dieu » : Act.3/13-15, 3/26.
Il est engendré
par Dieu, dans le temps : Act.17/33, en rappel du psaume 2 :
« Tu es mon fils, aujourd’hui
je t’ai engendré »,
et pas de toute éternité….
C’est Dieu qui l’a
ressuscité : Act.2/24, 2/32 ,
3/13-15,5/30,10/40,13/30,13/37.
Dieu l’a oint, l’a donc
fait « christ » : « Ce Jésus
de Nazareth, vous savez comment Dieu lui a confié l’onction
d’Esprit Saint et de puissance » : (Act.10/38).
C’est Dieu qui
l’a fait «Seigneur, celui que vous avez crucifié »
(Act.2/36).
Enfin, Dieu l’a glorifié :
Act.3/13-15.
Pierre fait un miracle « par
le nom de Jésus Christ le Nazaréen, crucifié par
vous, ressuscité par Dieu »: Act.4/10.
Philippe, diacre, prêche à
Samarie « la bonne nouvelle du Règne de Dieu et du
nom de Jésus » :Act. 8/12.
Comment tes apôtres
et tes disciples te voient ?
Nous avons dans un premier temps
essayé de comparer les attitudes de l’homme Jésus
aux nôtres, dans la vie courante. Nous avons ensuite consulté
les textes des Actes pour essayer de repérer la manière
dont les premiers chrétiens ont parlé de Jésus,
voyons maintenant comment les disciples qui ont vécu au
quotidien avec lui le considéraient.
Dès son baptême,
Jésus reçoit une manifestation céleste :
les cieux s’ouvrent « pour lui » est-il
écrit : (Mt. 3/16). Il voit l’Esprit, et, une voix
venue du ciel dit : « Tu es mon fils bien-aimé,
en toi je mets toute ma joie ». Il semble que cette
théophanie lui soit réservée : « pour
lui » ; mais Jean le Baptiste aussi a vu l’Esprit :
(Jo. 1/32). Peut-on penser que l’évangéliste veut
nous dire à nous que cette parole venant d’en haut est,
à ce moment, pour Jésus, « révélation »
de ce qu’il est pour Dieu ?, Jean-Baptiste, son cousin,
sait, depuis longtemps peut-être, que Jésus est
quelqu’un de particulier. Au jour du baptême il lui est
révélé que Jésus est « l’élu
de Dieu » (Jo.1/34). Le lendemain, dit l’évangile
de Jean : (Jo. 1/35), André et un autre disciple du
Baptiste voient Jésus et passent une partie de la journée
avec lui. Pour eux, Jésus est l’envoyé de Dieu,
le Messie. Simon-Pierre, puis Philippe puis Nathanaël le voient
comme « Fils de Dieu, roi d’Israël » :
(Jo. 1/49). Plus tard, les miracles qu’il fait amènent
les disciples à réfléchir, mais il reste
« l’envoyé de Dieu ».
L’expression
« Fils de Dieu » n’affirme pas
nécessairement une « divinité »
différente de celle qu’on attribuait à ces
époques aux pharaons, aux empereurs ou aux rois. Joseph Moingt
dans « L’homme qui venait de Dieu »
(p.92-94), explique bien comment aux premiers siècles de notre
ère, imprégnés de paganisme, des glissements se
sont faits qui ont attribué à Jésus des titres
réservés aux grands de l’époque.
Je cite maintenant un
certain nombre de textes signés du nom des apôtres, des
évangélistes, m’amenant à entendre que
pour eux, Jésus est un homme. Ce « catalogue »,
je l’ai réuni ces dernières années au
cours de mes lectures et méditations depuis que cette
interrogation sur la personne de Jésus me taraude et me le
rend aussi plus proche.
Ces textes, comme ceux relevés
dans les Actes font distinction entre Jésus et Dieu.
En Jean.17/3, Jésus est
l’envoyé de Dieu : « La vie éternelle
c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu et
celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. »
Mathieu : 8/27, Mc.4/41,
Lc.8/25, rapportent la tempête apaisée. Les apôtres
s’étonnent dit Mathieu : « Qui est
donc celui-là car aussi le vent et la mer lui obéissent ».
Devant nombre de ses « miracles », Marc et Luc
décrivent en termes semblables l’étonnement
et le questionnement sur cet homme qui les a appelés.
Dans leurs lettres les apôtres
distinguent Jésus et Dieu.
1ére de Pierre : (2/4) :
« Approchez-vous du Seigneur, pierre vivante rejetée
par les hommes mais choisie et jugée précieuse par
Dieu ».
Jacques dans sa lettre 1/1, se
déclare : « serviteur de Dieu et du Seigneur
Jésus Christ »
Paul, maintenant :
Col.1/1 : « apôtre du Christ Jésus par
la volonté de Dieu », dans de nombreux passages de
ses lettres : (1 Tim.5/212), « nous conjure devant
Dieu et le Christ Jésus et les anges »
Dans la 1ère aux
Thessaloniciens (1/1) : « Paul, Sylvain et Timothée
à l’Eglise des Thessaloniciens en Dieu Père et
dans le Seigneur Jésus Christ, grâce à vous et
paix ». Plus loin : (1/2-3), Paul rend grâce à
Dieu de la « foi charité espérance des
Thessaloniciens en Jésus Christ devant Dieu notre Père ».
Et en 5/9-10 : « Dieu ne nous a pas destinés à
subir sa colère, mais à posséder le salut par
Notre Seigneur Jésus Christ, mort pour nous afin de nos faire
vivre par lui. » En effet, il n’y a que « un
seul Dieu, un seul médiateur aussi entre Dieu et les hommes :
un homme : Christ Jésus. » (1 Tim.2/5)
S’adressant aux Corinthiens
(1Cor.8/5-6) qui voient autour d’eux tant de statues de
divinités auxquelles on offre des sacrifices d’animaux,
tant de temples ou l’on enseigne « la
connaissance », Paul écrit que « même
s’il y a de prétendus dieux au ciel et sur la terre- et
en fait, il y a beaucoup de « dieux » et de
« seigneurs »- il n’en est pas moins vrai
que pour nous, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père ,
qui a créé toutes choses et pour qui nous vivons :
il n’y a également qu’un seul Seigneur, Jésus
Christ, par qui toutes choses existent et par qui nous vivons. »
Nous vivons par ce seul Seigneur
Jésus Christ qui résume en lui la complétude de
la vie de l’humanité : (1Cor.15/21-28)
« Puisque la mort est venue par un homme , c’est par
un homme aussi que vient la résurrection des morts :
comme tous meurent en Adam, en Christ tous recevront la vie :
mais chacun à son rang : d’abord les prémices,
Christ, puis ceux qui appartiennent au Christ, lors de sa venue;
ensuite viendra la fin, quand il remettra la royauté à
Dieu le Père. » Et plus loin : « Mais
quand il (Christ) dira : Tout est soumis, c’est
évidemment à l’exclusion de Celui qui lui a tout
soumis. Et quand toutes choses lui auront été soumises,
alors le fils lui-même sera soumis à Celui qui lui a
tout soumis, pour que Dieu soit tout en tous. » Magnifique
fresque qui a pu inspirer Michel-Ange !
Remarquons aussi qu’à la
fin des temps, le fils sera soumis au Père, chose qui ne
concorde pas avec le mystère de la Trinité tel que le
conçoit la théologie actuelle.
Au-delà du triomphe de Jésus sur la
création, nous les humains vivons et vivrons cachés
avec Jésus, le Christ, en Dieu : ( Col.3/3-4) « Vous
êtes morts avec le Christ, et votre vie reste cachée
avec lui en Dieu » en « Dieu qui a ramené
d’entre les morts notre Seigneur Jésus »
(Hé.13/20-21).
Relisant de près
ces quelques textes, et le texte grec est parfois plus parlant, nous
saisissons bien que Dieu et Jésus n’occupent pas la
même sphère dans la pensée des apôtres, eux
qui ont vécu au quotidien de l’homme Jésus qui,
souvent, le soir, se retirait pour parler au Père, à
« Notre Père qui es aux cieux » et pas
« Votre Père …».
Qui es-tu donc pour nous ?
Il semble que nous
pouvons, au terme de cette recherche dans le Nouveau Testament,
considérer vraiment Jésus homme comme nous, ayant vécu
ce que nous vivons, avec cette même psychologie humaine qui,
comme le vent dans la voile, nous emporte ou nous retient jusqu’à
ce que nous nous sentions maîtres de notre barque, bons
navigateurs, rendus parfaits grâce à l’exercice de
la vie.
L’épître
aux Hébreux (5/9) semble bien nous dire cette « progression »
de l’homme Jésus : « Après avoir
été rendu
parfait, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent,
principe de salut ». Pour lui aussi la perfection aura été
une longue navigation.
« Principe de
salut » pour l’homme par l’exemple de sa vie
et de sa mort. Au long de sa vie, Jésus a appris ce que veut
dire : être humain. Il a pris conscience que c’était
mettre dans la pratique l’évolution de sa foi.
Il avait découvert
pour lui qui est Dieu ; il a adapté sa vie à sa
foi. Il a dit ce qu’il avait découvert de Dieu, il a
combattu une théologie différente ; il s’est
mis son « Eglise », l’assemblée
juive, à dos au point que cette « théologie »
a choqué, désorienté et même changé
en prophète Caïphe, le prêtre suprême de
l’époque : «C’est votre avantage qu’un
seul homme meurt pour tout le peuple » (Jo.11/50)
Jésus, conscient de ce qu’on
lui préparait est venu au-devant : « Il faut
que je monte à Jérusalem… » Jésus
va au bout de son engagement.
Notre rédemption, c’est
cela ! Ce n’est pas le sang qui coule et nous lave de nos
péchés, c’est son engagement jusqu’au bout
qui nous propose : va jusqu’au bout de ce que tu crois,
sois vrai avec toi et puis, « Viens, accompagne-moi. »
On peut alors comprendre tout le sens des derniers
mots de l’évangile de Jean (19/30) : « Inclinant
la tête, il rendit l’esprit. » Ce terme :
rendre, est, en grec : « paradokein »
Il se traduit par : transmettre, remettre par succession,
remettre de la main à la main, confier, remettre une personne
à une autre pour l’instruire et l’élever.
Jésus nous « transmet »
l’Esprit qui l’anime, l’Esprit qui est Amour, afin
que nous vivions de ce même Esprit.
Qui sommes-nous, nous les Humains ?
« Lorsque ton Fils prend
la condition de l’homme, la nature humaine en reçoit une
incomparable noblesse ; il devient tellement l’un de nous
que nous devenons éternels. » (Troisième
préface de la Nativité).
La situation dans
laquelle les textes que nous venons de travailler placent Jésus
n’est pas sans conséquences pour nous.
Si l’on considère Jésus
comme homme semblable à nous, premier de nous tous dans la
compréhension de qui il est, qui sommes-nous nous-mêmes ?
Ici je m’aventurerai à
présenter une mienne expérience
.
J’ai vu mourir ma
femme, au terme d’une longue maladie, comme on dit. Les soins
palliatifs l’avaient aidée, nous avaient aidés à
être lucides et paisibles jusqu’à la fin. C’est
au moment de son dernier souffle que j’ai eu l’évidence
que la vie ne finit pas : ma femme laissait sur son lit
d’hôpital son vêtement de chair douloureuse, mais
la vie, sa vie ne s’arrêtait pas. Comment ?
Mystère !
Je n’avais cessé,
je n’ai cessé de réfléchir à ce
qu’est la vie, et nombre de textes de l’Ecriture parlant
de la vie s’agitaient dans mes réflexions. « En
Lui nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes »…
Le déclic se fit
un jour que je relisais pour la Nième fois le chapitre 2 de la
Genèse. Je fus arrêté par ce texte : « Il
prit du limon de la terre, en fit le corps de l’homme et lui
souffla un souffle de vie ».Ce jour, je me dis : mais
voilà, la vie, ma vie, c’est la vie divine qui m’anime,
qui anime tous les humains mes frères, qui anime le monde, du
quark à l’homme et à l’ « ange »
peut-être.
Lorsque je parle à
des chrétiens de cette « découverte »,
certains me répondent : « c’est
évident que le « Divin » nous habite :
l’Esprit Saint nous est donné qui vient animer notre
vie ». Il me semble alors que nous ne nous comprenons pas
bien. L’Esprit Saint n’est pas, dans ma recherche, un
troisième élément qui dans mon corps animerait
mon « âme » ou ma vie déjà
existante. Le « Divin », c’est ma
Vie-même.
Cette vie que la science cherche à
« fabriquer » mais dont elle ne fabrique que
les supports et pas la vie-même. En effet, la technique fait de
l’artificiel. Or la différence entre le vivant et
l’artificiel, c’est que l’un a la triple capacité
d’intégration, de reproduction et d’évolution
que l’autre n’a pas. (cf. Séminaire du Dr Michel
Bercot 1996-1998).
Cette relecture de
Genèse 2 devenait alors pour moi une nouvelle évidence
qui m’amena à changer des choses dans ma vie. Peut-on en
effet, persuadé de ce qu’est la vie, avoir par exemple
un ennemi ? Si sa vie et ma vie sont la même Vie, comment
ne me rendrais-je pas compte que lorsque ma rancune, ma vengeance le
démolit, c’est ma vie que je démolis ?
Le commandement de Jésus : « Aimez vos ennemis » (Mt 5/43ss.) devient alors limpide. Ce commandement qui peut raidir ceux qui l’entendent nous arrive sous une autre lumière. C’est limpide comme eau de roche que si je démolis la vie, la vie qui est mienne en l’autre, je me détruis moi-même.
Par contre, si devant
les injustices, nous pouvons dire, comme Jésus :
«Pardonne, car ils ne savent ce qu’ils font »,
cela ne nous empêche pas de lutter, comme Jésus en est
lui-même, là aussi, l’exemple, contre les pouvoirs
injustes, et par là, épanouir la vie du Monde.
La psychologie nous dit bien que
faire du mal à l’autre c’est se faire du mal à
soi, mais dans cet ordre du supérieur, de l’essentiel,
le rejet de l’autre prend une tout autre dimension : celle
de l’Essentiel justement
Dans l’unité
trinitaire.
Cette mystérieuse « boîte
noire » que la théologie catholique nous présente
chaque fois qu’elle sombre dans la difficulté de
soutenir l’imbroglio qu’elle s’est cuisiné,
cette « boîte noire » du mystère
de la Sainte Trinité sera peut-être plus facile à
ouvrir maintenant que nous avons situé Jésus avec nous,
humains, et nous avec lui, dans l’unité de la vie et
dans l’amour qui nous unit.
La Trinité nous est présentée
comme un dogme : vérité à croire.
Croire est-ce à dire :
c’est comme ça, tu prends ou tu laisses. Si tu prends,
tu es des nôtres ; tu ne prends pas : tu es exclu ?
Croire en la Trinité,
cela m’ouvre à quoi dans ma recherche du lien avec
le Divin : Dieu : Père, Fils et Saint Esprit,
vivant dans son éternité bienheureuse ? C’est
la famille divine, et moi, je suis de la famille humaine.
La Trinité a bien délégué
le Fils qui est venu mettre pied sur notre terre, mais cela ne fait
pas moins deux familles.
Par contre, si ce que nous avons
compris de Jésus et de nous peut être vrai, tout change.
Dieu est notre Père-Mère
a dit un jour le pape Jean-Paul 1er,
à qui on n’a pas laissé assez de temps pour nous
enseigner le fond de sa théologie. Donc, le Dieu que nous
enseigne Jésus n’est plus le Jupiter tonnant, scrutateur
de nos fautes mais le Père qui a déjà pardonné
à l’enfant dépensier, et jouisseur un peu
excessif des cinq sens, des cinq talents qu’il a reçus.
Ce Dieu est Amour, source de l’amour
que nous découvrons au long de la vie à travers tous
nos essais plus ou moins tâtonnants plus ou moins réussis
d’amour, jusqu’à ce que nous comprenions et
vivions l’Amour.
Ce Dieu Père-Mère aime
ses enfants : fils et filles, et il nous le fait savoir par
celui qui le comprend mieux que les autres : Jésus ce
frère. Ce Jésus qui ne veut pas garder sa science pour
lui, nous apprend que le Père l’aime, lui, et nous aime
tous, parce que nous sommes tous comme lui, pas toujours aussi bons
que lui, mais tous appelés à le devenir. Il nous dit
que, lui ressembler c’est tendre à nous aimer les uns
les autres. Il nous donne lui-même l’exemple, même
si ça lui coûte la vie.
Le « Fils » de
la famille divine, ce serait donc nous ?
Eh oui !
Rappelez-vous, dans l’évangile de Jean, au chapitre 10,
Jésus dit à ces opposants qui l’ennuient de leurs
soupçons : Mais vous êtes comme moi, et moi comme
vous. Relisez le psaume que vous chantez chaque jour dans le Temple :
le Ps.82 « Vous êtes Dieux et les fils du
Très-Haut »
La chose est claire :
le Fils, les Fils et Filles, c’est nous !
Reste à découvrir
le Saint Esprit, dans cette « boîte noire »
mystérieuse, au fond de laquelle nous fait signe l’Esprit,
cet Amour du Père pour nous, de nous pour lui, cet Amour qui
nous lie, humains, les uns aux autres. C’est l’Esprit que
Jésus nous a transmis au moment où, « inclinant
la tête, il rendit, transmit l’Esprit »
Karl Rhaner écrit
dans « Quelques remarques dans le traité dogmatique
« De Trinitate » p.135-136, cité par
Joseph Moingt dans « Dieu qui vient à l’homme :
de l’apparition à la naissance »
p.113 : « Moins une doctrine de la Trinité
a peur de s’intégrer dans l’économie du
salut, plus elle a de chance de dire, au sujet de la Trinité
immanente, ce qui est le plus essentiel, et de faire comprendre
réellement cet essentiel à l’intelligence de la
foi, aussi bien théorique que pratique ».
Si le mystère de la Trinité
c’est ainsi qu’il faut le comprendre, alors, j’ai
tout compris. Ca va me prendre du temps et des efforts mais j’ai
tout mon temps puisque ma vie est « éternelle ».
Quant aux efforts, à la peine… St Augustin ne disait-il
pas un jour : « Où il y a de l’amour, il
n’y a pas de peine, et si on peine, cette peine, on l’aime »..
Lui qui savait si bien tricoter en langue latine, écrivait :
« Ubi amatur non laboratur et si laboratur, labor
amatur. »
Certains qui me liront jusqu’au
bout me traiteront d’hérétique. Mais le savoir
n’avance-t-il pas par essai-erreur ?
Et quand une erreur vous permet de
vivre, d’ajuster votre vie à la vie de votre entourage,
aux préceptes de l’Evangile, alors, vive l’erreur !
En conclusion
temporaire, avant de se remettre au travail.
(i.e. avant de reprendre notre Bible pour la lire
et la relire, pas à pas, en nous arrêtant sur ces
paroles qui nous posent question et nous ouvrent le cœur).
Ce long parcours de
réflexions, j’en vois bien l’unité, à
travers ses méandres qui nous ont promenés, (promenade
socratique en retour à mon article de Golias n° 102), de
la salle du Cénacle à la construction de l’Eglise,
à la place qu’elle occupe dans le monde, à
l’exigence, pour ceux qui la constituent, de travailler à
devenir ce qu’ils sont appelés à être. Le
modèle c’est Jésus qui nous montre, à
travers les Evangiles, qui il est, qui nous sommes.
Aujourd’hui, continuons le
travail que nous avons commencé. Il n’y a pas d’âge
pour cela, cheveux blancs, gris, noirs ou clairs, que l’on soit
de la première, de la sixième ou de la onzième
heure, car, nous le savons, après la onzième heure et
le travail qu’il faut y accomplir, il y a, hors espace-temps,
la Vie qui demeure, car « Vous êtes Dieux, et les
fils du Très-Haut » : (Ps.82/6 ;
Jn.10/34)
Gilles Lacroix,
psychanalyste, prêtre, Mont près Chambord -
07/04/2005 - 25/01/2015.
(Ce texte peut être consulté sur le site http://golias-editions.fr)
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