lundi 4 mai 2015

Retisser chaque jour l’Evangile dans l’Eglise


Une réunion de chrétiens se tenait il y a peu, dans une salle d’une maison diocésaine Les participants étaient d’âge certain ; quelques têtes moins grises surnageaient cependant à la crête de ces vagues blanches.
Le murmure des flots était plutôt lugubre : « Nous sommes peu nombreux dans nos paroisses, et, pour la plupart, nous sommes âgés. »
Une voix s’éleva : « Si nous sommes peu nombreux, nous avons cependant la foi et la volonté que l’Evangile soit connu. Quant à l’âge qui nous écrase, c’est nous qui nous laissons écraser par l’âge. La foi dynamique d’un vieux vaut celle d’un plus jeune, elle a, en plus, le poids de l’expérience. »
Prenons nos paroisses en charge, baptisés que nous sommes, à la manière dont les premiers disciples ont lancé les premières communautés de fidèles de Jésus-Christ. Pour ce faire, replongeons-nous dans notre histoire initiale, dégageons écumes et varech et toutes ces plantes parasites qui, au long de la vie de l’Eglise, ont envahi les eaux pures du début, les eaux cristallines baptismales des bords du Jourdain.

Les pages qui suivent voudraient aborder quelques questions qui semblent aujourd’hui dans l’actualité ecclésiale et théologique.
-Comment Jésus quittant les siens a-t-il voulu rester présent ?
-En quelles mains Jésus s’est-il alors confié ?
-Quelle mission a-t-il proposée ?
-Comment recevoir aujourd’hui Jésus et son message ?
-Cela peut-il réorienter la vie de nos communautés ?
-Cela peut-il réorienter notre théologie ?
-Cela peut-il réorienter nos vies ?
-Qui est-il cet homme à stature divine ?
-Que nous dit-il de nous par rapport à lui ?
-Enfin, qui sommes-nous dans la famille de Dieu ?
-Et à quoi cela nous engage-t-il ?

Repensant à cette réunion tenue à la maison diocésaine, je me dis : « Les Apôtres, dont Paul, ne se questionnaient pas sur leur âge ; les petites communautés lancées par Paul à Salonique ou Philippe, à Ephèse ou Corinthe ne se lamentaient pas sur leur nombre. Ils partageaient et le pain et leurs biens : Jésus ressuscitait en eux !


Ou veux-tu que nous préparions ta pâque ?

A la dernière Cène, Jésus fait la pâque avec ses Disciples.
« Le premier jour des azymes, (jour où l’on immolait la Pâque,) ses Disciples lui disent : « Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la pâque ? » (Mc.14,12) Et il envoie deux de ses Disciples (Luc dit que c’était Pierre et Jean), et leur dit : « Allez jusqu’en ville. Et il se rencontrera près de vous un homme portant une cruche d’eau ».
Ce sont les femmes qui, à l’époque et en ces lieux, sont chargées de ce travail ; il ne sera donc pas difficile aux disciples de repérer le porteur d’eau.
Jésus continue : « Suivez-le, et, où il entre, dites au maître de la maison : « Le Maître dit : où est ma salle, où je pourrai manger la pâque avec mes Disciples. » Et il vous montrera une chambre à l’étage, grande, munie de tapis, toute prête. Et c’est là que vous ferez les préparatifs pour nous. ».Mc.14/13-17)
Pour être clair sur la personnalité des convives de ce repas pascal, Marc dit bien que le soir venu, Jésus se rend à cette maison « avec les Douze », ceux qu’on appelle « apôtres » : « apostoloi » On peut comprendre que Jésus arrive avec ceux qui le côtoient en permanence. Ils ont passé la journée ensemble, comme d’habitude. Mais d’autres disciples, ceux que l’Evangile appelle « mathêtai », ces disciples sont, comme d’habitude, avec lui ou pas loin, ou déjà dans la maison. Les Femmes disciples sont sans doute là, préparant le repas de la Pâque avec les femmes de la famille qui accueille… C’est le travail des femmes là aussi, et en ce temps.
La pâque est le repas qui se fait en famille. Le livre de l’Exode décrit avec précision la cérémonie de ce repas : (Ex.12/3-10). « Le 10 de ce mois (le premier des mois de l’année, le mois d’Abib, le mois des épis, qui correspond à notre avril-mai.), procurez-vous chacun une tête de petit bétail par famille : une tête de petit bétail par maison. Si la famille est trop peu nombreuse pour consommer l’animal, on s’associera avec son voisin le plus proche de la maison, selon le nombre des personnes. Vous tiendrez compte de l’appétit de chacun pour déterminer le nombre des personnes. »
Notons que l’animal est « petit bétail », agneau ou chevreau.
On le mange en entier. S’il en reste, on le brûle au feu dès le point du jour suivant. « Vous n’en réserverez rien pour le lendemain. Ce qui en resterait au point du jour, vous le brûlerez au feu. » (Ex.12/10). Cet ordre est peut-être donné afin d’éviter toute profanation, car cet animal est saint de quelque manière. Ce peut être aussi en prélude de ce que sera la manne que l’on ne devra ramasser que pour l’alimentation du jour-même.
Bien que ce ne soit pas un festin pour lequel on prendrait son temps : « Vous le mangerez en toute hâte » (Ex. 10/11), ni une rencontre de fête pour laquelle on se serait paré : « Vous le mangerez ainsi : les reins ceints, sandales aux pieds, le bâton à la main ». (Ex.12/11), la proposition divine tient compte des nécessités humaines : « Vous tiendrez compte de l’appétit de chacun pour déterminer le nombre des convives. » (Ex.12,4).

Puisque la pâque est un repas de famille, on peut penser qu’à cette dernière pâque terrestre, Jésus et ses disciples ont invité avec eux une partie des leurs.
On peut aussi penser que le « maître de maison », celui qui a prêté cette grande salle de sa demeure à Jésus, n’est pas exclu de ce repas de fête. En effet, on imagine mal que Jésus ait pu dire à cet homme et à sa famille: « Merci pour ta salle, mais va plutôt faire ta pâque ailleurs ».
Marie, mère de Jésus, doit en être de ce repas, sinon où aurait-elle fait la pâque, elle que le lendemain, vendredi, on trouve au pied de la croix, et Marie-Madeleine qui, le lendemain, elle aussi, sera au Calvaire.


Jésus, sachant qu’il fait là son repas d’adieux, a peut-être, humain qu’il est comme nous, voulu inviter un certain nombre d’amis. Cette pâque est, pour Lazare, la première depuis sa « résurrection » Cette « résurrection » est une annonce de la Résurrection de Jésus. Lazare pourrait bien être là comme prophète du futur proche. Marthe et Marie, sœurs de Lazare, seraient sans doute les bienvenues pour épauler ce témoignage.
Enfin, l’Eucharistie étant le signe du partage de l’Amour divin, savoir si celui qui, dans une parabole avait fait inviter par le « maître de maison » tous les miséreux de la rue, savoir si Jésus n’aurait pas invité à sa table, pour ce repas d’au revoir, quelques exclus de la société d’alors : (cf. Mt, 22,9)…

L’iconographie nous a habitués à ne voir avec Jésus que les Apôtres, et cela nous trompe, car ces peintures de Cènes auxquelles nous sommes habitués ne sont pas du début du Christianisme. Par contre, dans les catacombes de Priscille à Rome, une fresque du dernier quart du premier siècle dépeint le banquet céleste: des femmes y sont présentes.(cf. Golias hors série n°2, p.31) .

A ce repas, il y a donc des hommes, des femmes et des enfants.
C’est à ces gens que Jésus va partager le pain, c’est à eux, qu’en fin de repas, il fera passer la coupe de vin.
C’est à eux qu’il dira : « Faites ceci en mémoire de moi » ( Lc.22/19).
La charge de partager pain et vin est donc donnée à la communauté entière et non aux seuls apôtres et à ceux qu’ils délègueraient.


Enfin, comme rappel aux indécis, le prêtre présidant l’eucharistie ne dit-il pas :
« La veille de sa Passion, il prit le pain…le bénit, le rompit et le donna à ses disciples en disant : « Prenez… ». « mathêtès » n’est pas « apostolos » .
La délégation, Jésus la donne, au Peuple de la Pâque ; c’est donc comme le rappelle Vatican II, la communauté qui célèbre, le prêtre qui la préside, faisant lien avec l’évêque, et par lui, avec l’Eglise universelle.



« Vous ferez cela en mémoire de moi. »

Jésus n’a pas voulu d’Eglise nous disent les exégètes d’aujourd’hui, mais elle s’est faite naturellement comme association, suivant les lois de la sociologie.
Voyons-en le développement, d’autant qu’il nous semble très éclairant pour notre époque.
Le groupe des disciples grandit très vite, trop vite pour être organisé. Les Actes des Apôtres (2/1 ss.) nous présentent les scènes de la Pentecôte. Au milieu de la foule Pierre prend la parole, avec même quelque humour (Act.2/15). Il doit y avoir autour de lui et des autres apôtres pas mal de monde pour que 3000 personnes décident de se joindre à eux (Act.2/41).
Ces gens ont compris le message de Jésus : ils partagent aussitôt leurs biens : (Act.2/44) pour que « chacun reçoive selon ses besoins » (Act. 2/43) : belle phrase des Actes des Apôtres va parcourir les siècles et deviendra un leitmotiv pour beaucoup.
Une telle population et la somme des biens qu’elle « met sur la table » pourrait-on dire, va exiger un début d’organisation. C’est alors que les Apôtres déclarent à l’assemblée des nouveaux disciples : pour nous, notre travail c’est de parler de Jésus ; il ne nous reste plus assez de temps pour nous occuper des problèmes matériels de la communauté. Choisissez sept personnes parmi vous pour prendre en charge cette fonction (cf.Act. 6/1-6 ).
Nous reviendrons plus loin à cette référence des Actes qui devrait nous apporter une étonnante lumière sur le vécu actuel de l’Eglise.

Si à Jérusalem l’Eglise s’organise avec « les 12 », il ne faut pas oublier l’action du 13ème que l’Esprit est allé récupérer sur le chemin de Damas, l’apôtre Paul.
Mis à l’écart par les 12, il va faire ce pour quoi il se sent embauché.

Dès les débuts, nous voyons Paul aller de région en région, à travers l’Asie Mineure, sa contrée : il est de Tarse, ville située près du golfe qui pourrait être le point de séparation entre la presqu’île de Turquie et l’Asie Mineure. Il connaît là beaucoup de monde grâce à sa profession de tisseur de toile. Il plante où il peut des communautés qu’il laisse, confiant leur épanouissement à l’un ou l’autre de ses membres.
Ainsi, à Philippe, ville de Macédoine, les Actes des Apôtres (16/11-15) nous apprennent qu’une certaine Lydie, « négociante en pourpre » accueille Paul pendant son séjour dans cet endroit. Paul parti, qui prendra soin de cette communauté ? Lydie sans doute, première chef de communauté…première femme prêtre ? …Mais il est vrai que les « prêtres » n’apparaîtront que bien plus tard, lorsque l’Eglise se sera complètement organisée, vers le tournant du IVème Vème siècle. Cf. Herbert Haag « Quelle Eglise Jésus a-t-il voulue ? ».
Ces communautés chrétiennes se réunissent pour prier, parler du Seigneur Jésus et partager leur repas ainsi que l’avait fait Jésus moult fois, et particulièrement à la dernière Cène.
Le partage n’est pas toujours ce qu’il devrait être : certains apportent force provisions pour eux et laissent sans partager des frères qui ont faim. (1 Cor. 11/17 ss.) Cette description que fait Paul nous fait imaginer une rencontre comme nous en faisons parfois avec “sandwich hors du sac” après un partage de vie et une célébration eucharistique. Il est vrai que dans ces « repas » il y a toujours pour tous et au-delà : (cf. Mc.8,19-20).


« Nous continuerons en mémoire de toi. »

Les disciples ont désormais organisé l’assemblée christique plus ou moins comme elle est aujourd’hui. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Il y a des diocèses avec à leur tête un évêque…plusieurs même dans les diocèses plus peuplés. Les diocèses sont divisés en doyennés, lesquels sont subdivisés en paroisses.
La paroisse ! ce mot vient du grec : para oikion : voisinage des maisons, groupe de maisons voisines.  Les évêques seraient bien inspirés s’ils remettaient le nez dans leur dictionnaire grec, eux qui appellent « paroisse » des étendues de plusieurs kilomètres carrés. Car les paroisses regroupent actuellement 4 à 10 ou 15 villages, puisqu’il n’y a plus assez de prêtres. Une paroisse en France correspond parfois à la superficie d’un diocèse en Italie.
Quant aux responsables des paroisses, que dire de l’âge moyen du clergé ? autour des 70-75 ans… pour le moment.
Un prêtre « dessert » tout ce territoire, aidé parfois d’un diacre.
Le diacre est un homme, pas une femme. Mais la femme du diacre, s’il est marié, a dû donner son accord et dans bien des cas fait œuvre de « diacre » non reconnue. Les femmes n’ont pas leur place autour de l’autel alors que Jésus en était entouré.
Selon une théologie maintenant dépassée, seul le prêtre avait le droit de « célébrer » l’Eucharistie; alors comment partager l’Eucharistie aux fidèles ?
Pour pallier l’absence de prêtres, plusieurs solutions sont en cours aujourd’hui:
- rassembler en une seule église, le dimanche ou le samedi soir…le covoiturage existe diable ! clament les partisans de ce système.
- célébrer d’église en église.
J’ai vu un jour près de Lille, un prêtre de 80 ans arrivant, titubant sous les années, dans une église où l’assemblée attendait depuis un bon moment. La messe était à 11h., c’était la 3ème messe de la matinée dominicale que cet homme venait célébrer. La messe fut pénible à suivre, le sermon peu audible, mais la messe du dimanche avait été dite.
Ailleurs il y aura les ADAP : « Assemblées du Dimanche en l’Absence de Prêtre », devenues ADP: «Assemblées De la Parole ». 
On ira chercher des hosties consacrées dans une autre église pour que la communion soit distribuée. Ces ADAP-ADP, préconisées un temps, sont aujourd’hui mises en cause par certains évêques, en France. Elles ont fleuri des années 1970 à 1980. Rome a voulu en 1988 cadrer ces rencontres de fidèles. « Les évêques ont-ils pris peur ?…Pourtant rien ne les empêchait de poursuivre leur lancée » remarque le théologien François Wernert dans un article de La Croix . Une double page de « La Vie » du 15 décembre 2011 disait même que le pape souhaitait y revenir. Certains diocèses, Strasbourg a commencé il y a plusieurs années, éditent des livres qui permettent aux fidèles de se rassembler pour ces rencontres dominicales. A l’expérience, cela permet à des croyants d’exprimer ce qu’ils savent de l’Evangile, de le confronter à d’autres points de vue, de s’enrichir mutuellement, enfin, de faire pénétrer l’Evangile dans leur vie et de pénétrer leur vie de l’Evangile.

Si nous revenions à la saine théologie et aux origines de la Tradition, les choses seraient pourtant si simples.
Comme nous l’avons dit, on le voit au jour où est constituée la première communauté chrétienne, celle qui, pour une bonne part a vu vivre Jésus, l’a fréquenté. Ces gens « se montraient assidus à l’enseignement des apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. » (Act.2/42). « Jour après jour, d’un seul cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple et rompaient le pain dans leurs maisons, prenant leur nourriture avec joie et simplicité de cœur ».
Si nous lisons bien, la première communauté fait l’Eucharistie, « le partage du pain… dans leurs maisons. »
Qui « préside » cette « fraction du pain » « dans leurs maisons » ? il n’y aura des « prêtres » qu’au IVème, Vème siècle, on l’a déjà dit.
Quant aux apôtres, que font-ils ? Revenons aux Actes :6/2-4.
Lors d’une petite rébellion dans la première communauté, « les Douze convoquèrent l’assemblée des disciples et leur dirent : « Il ne sied pas que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. Cherchez plutôt parmi vous, frères, sept hommes…et nous les préposerons à cet office ; quant à nous, nous resterons assidus à la prière et au service de la parole ».
Le rôle des apôtres, de leurs successeurs et de leurs « lieutenants » est clairement défini là : la prière, la parole, c'est-à-dire : l’enseignement.
Or, quelle est notre réalité aujourd’hui ? Les évêques s’occupent beaucoup du « service des tables » semble-t-il, mais leurs « lieutenants », dans les paroisses, quelle affaire ! il faut les suivre ! Certains se disent « les patrons » ; la plupart régissent toute la vie paroissiale. Lorsqu’ils n’arrivent plus à tout tenir dans leurs mains, ils délèguent mais surveillent. Et lorsque la tâche est à telle dimension que « veiller sur », « surveiller » n’est plus à portée de leur vue, encore moins à portée de vue des « épi-scopes », ils se gardent la messe qui ne peut être célébrée sans eux.
L’un des évêques des plus ouverts que nous connaissions le répétait encore : la messe doit être célébrée avec un prêtre…il ne disait cependant pas, « par le prêtre ». On commence à dire que le prêtre « préside » et non plus « célèbre » l’Eucharistie : Vatican II, dans sa Constitution sur la Liturgie, n°33, le déclarait déjà. Les fidèles, eux, « offrent la Victime sans taches, non seulement par les mains du prêtre, mais aussi ensemble avec lui ils apprennent à s’offrir eux-mê mes » id. n° 48.
Mais, le clergé s’accroche à cette fonction. J’ai entendu des prêtres me dire : « si nous n’avons plus la messe, qu’est-ce qu’il nous reste à faire ? » Or, les Apôtres disent clairement que leur rôle est de « rester assidus à la prière et au service de la parole ». L’Eucharistie, la « fraction du pain », elle se fait, comme la pâque : « dans les maisons ».
Aujourd’hui, on peut imaginer les chrétiens se réunissant et choisissant l’un d’eux qui l’accepterait pour être leur coordinateur pendant quelques années 3 ou 5 ans. Cette personne, homme ou femme, pourrait garder son travail à mi-temps : tout arrangement est possible. La communauté aurait à la dédommager, au niveau local ou plutôt diocésain ou national. D’autres personnes prendraient en charge comme cela se fait déjà, préparation au baptême, au mariage, aux obsèques, participeraient au catéchisme, en y intéressant les familles des catéchisés. Les charges réparties cohéreraient la communauté, chacun se trouvant avec une responsabilité, et se tenant responsable de la remplir.
Afin que la relation à l’Eglise universelle soit marquée, l’évêque donnerait son accord au choix du coordinateur et des autres responsables, ce serait l’envoi en mission qui se fait dans certains diocèses
La communauté se réunirait pour le partage de l’Eucharistie comme dans les débuts, chacun participant au « Faites ceci en mémoire de moi. »

Par toi, le tissage du lien social pour le « partage ».

La rencontre des chrétiens pour le « partage » n’est plus efficace. Les chrétiens ne se connaissent plus : ils se rencontrent bien pour la messe, mais se dispersent ensuite sur les différentes communes.
Puisque dans le village, dans le quartier, il y a une église : c’est autour de cette « maison » que la communauté chrétienne doit se refaire, sur le modèle que nous décrivions et qui se trouve déjà dans les chrétientés d’Amérique du Centre et du Sud. La communauté va avoir à se reconstituer et à se prendre en charge selon la proposition des Actes : 6/1-7. Selon aussi la réflexion du cardinal Marx, l’un des hommes du G9, proche du pape François, réflexion rapportée dans La Croix du 1er octobre 2013 : « Certains catholiques pensent encore qu’un prêtre doit être présent pour que l’Eglise fonctionne. C’est absurde. »
Ce même numéro de La Croix rapporte que « Lorsqu’il était cardinal, Jorge Bergoglio confiait son admiration pour les communautés chrétiennes au Japon restées sans prêtres durant plus de deux cents ans, mais où les « laïcs avaient pu vivre leur mission apostolique ».

Déjà des travaux se font sur les diocèses.
Parlons d’expérience.
Notre « paroisse » est constituée de quatre villages. C’est dans le village central que nous nous réunissons le dimanche pour la messe. Par contre, obsèques et mariages se célèbrent dans l’église de chacun des villages.
Une équipe de trois à quatre personnes s’est chargée des obsèques.
On prépare la cérémonie de préférence dans la famille du défunt.
Notons qu’avoir affaire à un laïc plutôt qu’à un prêtre, personne d’autorité, facilite le dialogue. On se « retient » toujours devant l’ « autorité ».
Les obsèques sont, vous le savez, le moment où la famille se réunit, dépassant les tensions, anciennes parfois. On essaye, avec elle, de rappeler au souvenir les images les plus positives de la vie du défunt, de la défunte, afin de présenter cette personne qui a « quitté » son village, au mieux de l’exemple qu’elle a pu y donner.
Ce rappel de la vie du défunt devrait aider la famille à commencer son deuil : ce travail de distanciation et de présence dans le souvenir qui permet de garder la présence dans l’absence.
A cette occasion nous rencontrons des gens, nous équipe « permanente », à une profondeur de vie, avec une vérité d’expression que la famille elle-même n’avait parfois même pas réalisée. Nous révélons ces gens à eux-mêmes ! Mais, cette « connaissance » partagée, qu’allons-nous en faire si nous ne revoyons jamais ces personnes ? Or nous ne les reverrons guère, car les villages sont éloignés et chacun vit dans son propre environnement avec ses voisins, ses activités associatives.
Il faudrait que chaque village, chaque quartier en ville, ait ses propres équipes, chargées des obsèques, mais aussi des préparations au mariage, des préparations au baptême et des catéchismes, s’ils existent encore.
Durant cette cérémonie d’obsèques, il m’est arrivé de prendre place dans l’église au milieu de telle famille amie. Dois-je le dire ? la cérémonie est bien plus « participée » lorsqu’elle est menée par l’équipe que par le prêtre. Des gens me disent que notre relation au monde n’est pas la même. La manière d’être dans le monde sans être du monde n’est sans doute pas la même pour les baptisés non-prêtres et pour les prêtres.
Faut-il alors exclure les prêtres ? Non bien sûr, mais les remettre à leur juste place, celle que les apôtres revendiquaient : la prière et le service de la parole (cf. Act. 6/4.)
De nos jours, le service de la Parole est souvent déficient, or, chers frères prêtres, vous avez été préparés par des années de séminaire à la connaissance de l’Ecriture, de l’Histoire de l’Eglise dans ses élans et ses désastres. Vous avez approfondi ce que nous appelons « dogmes », ces énonciations qui ne doivent plus être des paroles que l’on répète, mais des définitions que l’on regarde comme de grands espaces ouverts à notre réflexion, à notre méditation, à notre assimilation, jusqu’à nous permettre de les dépasser lorsqu’ils seront devenus nourriture de nos vies.
Mais d’abord, vous prêtres, vous avez à faire ce travail pour vous-mêmes. Et c’est un rude travail, car, dans nos cours de théologie, on nous a plutôt appris à répéter pour ensuite porter la « vérité définie » donc définitive, plutôt qu’à approfondir jusqu’à dépasser ces définitions, valables sans doute un temps, utiles pour poser un jalon à une réflexion, parfois pour mettre un point à une véritable guerre théologique, mais point qui doit être plus d’interrogation que point final.
Nous reviendrons sur la dogmatique, travaillée de nos jours par les théologiens qui veulent pour l’avenir des bases solides et clairement énoncées.

Ton Eglise entière aujourd’hui à l’œuvre

Il est essentiel que les chrétiens puissent vivre et le rassemblement et le partage. Le partage de l’eucharistie est pour que l’Eglise vive, essentiel.
Le Père Yves Congar disait, au cours d’une conférence donnée à l’Université de Strasbourg en I970, cette phrase qui m’a été rapportée : « Du moment qu’on a admis des personnes au baptême, on a le devoir de leur assurer l’Eucharistie. Ou on ne baptise pas, ou, que les baptisés passent outre et célèbrent l’Eucharistie. »
« Phrase en l’air » m’ont dit certains. Il est vrai que ce n’est là qu’une phrase rapportée, je n’ai donc pas le texte sous les yeux, mais je lis dans la thèse du théologien Jean Rigal : « Ministères dans l’Eglise », soutenue en 1979 et dirigée par Pierre Eyt, alors recteur de l’Institut catholique de Toulouse, des textes de poids qui vont dans le sens des paroles de Congar à Strasbourg. Je les livre maintenant à votre étude.
Le théologien et cardinal W. Kasper écrit dans la revue « Concilium » n°43, p.22 : « Si les chrétiens se réunissaient dans une situation extrême…Pour célébrer un repas commun en mémoire de la volonté ultime de Jésus, le Christ serait certainement présent parmi eux ; il y aurait communion avec l’Eglise et avec son ministère officiel au moins in voto. S’agirait-il là d’une Eucharistie au sens formel du terme ? C’est une question qui n’a pas été discutée jusqu’à présent, mais qui perdrait de sa force explosive si l’on réfléchissait qu’il y a divers degrés de densité dans la réalisation de l’Eucharistie et différentes manières pour le Christ d’être présent. »
Analysons-en quelques points de ce texte.
« Célébrer un repas commun en mémoire de la volonté ultime de Jésus », n’est-ce pas exactement ce que Jésus ordonne à ses disciples (mathetai , et pas apostoloi) de faire « en mémoire » de lui ? N’est-ce pas faire l’Eucharistie ?
« Il y aurait communion avec l’Eglise et avec son ministère officiel au moins in voto ». Pour éviter le schisme dans l’Eglise du Christ, le lien avec l’évêque est essentiel. Il l’est du côté de l’assemblée qui vient le demander. Mais, si l’évêque venait à le refuser, il serait bon qu’il dise pourquoi. Serait-ce parce que la communauté n’est pas assez fervente, pas assez honnête dans ses pratiques ? L’épiscopat ne donne-t-il pas son accord à certaines communautés, aujourd’hui et depuis des années, oublieuses du simple respect des personnes petites et grandes, qu’elles se targuent d’amener au Christ ?
« C’est une question qui n’a pas été discutée jusqu’à présent ». Elle l’est maintenant et depuis des années. Nos évêques l’entendent mais beaucoup se refusent à répondre et nous disent : il faut que nous en référions à Rome…Et nous savons que, si toutefois la question est posée, la réponse ne viendra pas…enterrement sous la Coupole de St Pierre ? à moins que Rome n’évolue.
« Cette question perdrait de sa force explosive si l’on réfléchissait qu’il y a divers degrés de densité dans la réalisation de l’Eucharistie et différentes manières pour le Christ d’être présent ». Il eut été intéressant de demander au cardinal W. Kasper ce qu’il entendait par ces « degrés de densité dans la réalisation de l’Eucharistie ». Ne s’agit-il pas là justement, de la participation que mettent les fidèles dans leur présence à l’Eucharistie ? «  Ils participent consciemment, pieusement et activement » (Constitution Liturgie, n°48) C’est bien ce que nous apportons au Christ et à l’Eglise qui fait une Eucharistie plus ou moins dense. Le Christ est toujours là par sa présence. Et puis, théologiens, il ne faut pas oublier les « différentes manières pour le Christ d’être présent »…  « Ce que vous avez fait au plus petit… » mais cette présence-là est plus lourde à porter et surtout plus envahissante.
La thèse de Jean Rigal apporte d’autres textes à notre réflexion sur « la messe ».
Hans Küng y est appelé à apporter sa pierre, de scandale, dira-t-on bien sûr, puisque c’est lui qui l’apporte, mais difficilement rejetable au plan de l’exégèse. Qui célébrait l’Eucharistie à Corinthe? des ministres institués ? Il aurait pu poser la même question sur les Eucharisties célébrées à Thessalonique après le départ de Paul.
« Que se passe-t-il, écrit Hans Küng, si un chrétien tombe dans une telle situation missionnaire et que, en vertu de son sacerdoce universel et sous l’impulsion de l’Esprit, il rassemble un petit groupe, une petite communauté grâce à son témoignage chrétien personnel, qu’il la baptise et qu’il célèbre le repas du Seigneur avec elle ? Sa célébration de l’Eucharistie pourrait-elle être valide comme celle des Corinthiens en l’absence de Paul ?...Voilà des problèmes dont on peut au moins discuter. Même abstraction faite de ces données exégétiques…dans une Eglise où tout chrétien peut administrer le baptême de nécessité … qui dans toutes les difficultés possibles parle d’un « supplet Ecclesia »…(n’y aurait-il pas) aussi un « supplet DEUS » encore beaucoup plus vaste et plus efficace ? » (« L’Eglise ». Ed. Desclée de Brouwer 1968, p.608).
Ce texte de 1968 écrit par un expert, un « peritus » du concile Vatican II, semble écrit aujourd’hui, en pensant à ces communautés d’Amérique latine réunies par un ou une catéchiste, « sous l’impulsion de l’Esprit ».
Jean Rigal fait observer en note dans sa thèse, que la « Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi a censuré cette opinion ». La question n’en reste pas moins posée. La Sacrée Congrégation a répondu « non »sans argumenter sa réponse. Or, le rôle de tout bon professeur, sinon de bon juge, est d’argumenter ses décisions. Seul Dieu est infaillible ! C’est justement tout une démonstration de Hans Küng qui a écrit pour cela un livre : « Infaillible ? Une interpellation… » Ed. Desclée de Brouwer 1971.)
Au soutien de cette réflexion, Jean Rigal apporte un texte de L. Boff, théologien brésilien qui relie à l’Eglise des premiers temps les communautés actuelles de chrétiens quasi hors d’atteinte dans ces immenses territoires des Amériques, « Communautés de base privées pour longtemps et de façon irrémédiable de ministre ordonné…La communauté grâce à ses coordinateurs, est en communion avec les autres Eglises sœurs et avec l’Eglise universelle, elle désire ardemment l’Eucharistie…Le célébrant non ordonné serait le ministre extraordinaire du sacrement de l’Eucharistie…toujours désigné ad hoc… » («Eglise en Genèse » Ed Desclée 1978, pp.90 à 100).
Je passe sur la citation que fait Jean Rigal de C. Duquoc, retenant seulement cette phrase : « Il n’existe de communauté au plein sens du terme que là où est célébrée l’Eucharistie. » (Revue des Etudes, janvier 1979 p. 106).
Henri Denis, lui aussi « peritus » au concile Vatican II, toujours cité par Jean Rigal, a cette ouverture que l’on trouve aussi chez Joseph Moingt : dans la communion de l’Eglise qui s’établit à travers le ministère apostolique, une délégation pastorale, principe admis dans le catholicisme, pourrait permettre « une Eucharistie de petits groupes, une Eucharistie de grand groupe de type presbytéral, une Eucharistie épiscopale… » La petite communauté aurait son président (ou sa présidente ?) reconnu(e) par l’évêque et célébrerait l’Eucharistie selon ses besoins. Elle se retrouverait avec le prêtre en charge d’autres petites communautés semblables pour une Eucharistie plus festive. Et l’on pourrait organiser de grandes assemblées où l’évêque réunirait prêtres, diacres, responsables de communautés et tout le Peuple de Dieu pour signifier l’unité de l’Eglise diocésaine aux grandes fêtes de la Liturgie.
Ecrivant cela, je pense aux communautés établies sur l’archidiocèse de Poitiers, que j’ai visitées. Je revois leur assemblée dans la cathédrale de Poitiers, au jour des « adieux » d’Albert Rouet, leur archevêque, aux chrétiens de l’archidiocèse. Là était l’Eglise : un monde au service de l’Evangile, dans toute sorte d’engagements : politiques, syndicaux, associatifs, religieux. Ce jour-là, les « Petites Communautés » du diocèse exprimaient la vie de l’Eglise.
Au fondement de sa thèse, Jean Rigal apporte la pierre d’Yves Congar, lequel prend l’histoire à témoin et dogmatiquement la dépasse : « L’histoire ne nous précise pas d’autre moyen normal d’établir des célébrants de l’Eucharistie et de relier leur ministère à celui des apôtres, sinon par l’imposition des mains, c’est-à-dire par l’ordination. Le ministère de l’unité qui est par excellence celui du collège des évêques, assure l’authenticité du sacrement de l’unité. Nous ne voulons connaître d’autre règle que celle-là. Nous pensons que, dogmatiquement, on ne peut pas exclure l’hypothèse qu’un autre chose soit possible. » (Nouvelle revue théologique, octobre 1971, p.795).
Cette dernière phrase laisse ouvert l’avenir. Elle relie l’Eglise d’aujourd’hui à celle des premiers chrétiens. Elle vient, discrètement, soutenir la phrase controversée par certains, prononcée à Strasbourg en 1970 par le même Yves Congar.
Oui, cette ouverture de l’Eglise était bien en germination sous la coupole de Saint Pierre au temps de Vatican II. La curie romaine l’a cachée sous son chapeau rond, (sotto il Copolone), mais là, malgré tout, elle a mûri pour les pontificats futurs.

Pourquoi mon insistance sur la « paroisse », sur son fonctionnement régulier abrité par son église et sur l’espace sociologique du village ou du quartier ? C’est qu’à l’expérience, on se rend compte
  • que l’éloignement du lieu de culte amène l’éloignement de la « pratique religieuse » : on perd conscience du besoin que l’on a, chrétien, de rencontrer Jésus de l’Evangile,
  • que l’éloignement du lieu de culte, de son absence éventuelle, distant et détisse les liens sociologiques entre les chrétiens d’un même village, d’un même quartier,
La relation au « Divin » n’étant plus soutenue par ces « cadres sociologiques », les chrétiens se déshabituent de la relation à la personne de Jésus.
On voit bien là pourquoi les évêques de France déplorent la fermeture, le délabrement, la vente des maisons-églises, témoins de la foi, temples de son renouvellement grâce aux baptisés.

Mais, qui es-tu, Jésus ?

Pour répondre à cette question, il faut se rapprocher au plus près des textes de l’Ecriture et y chercher :
- ce que Jésus dit de lui à ceux qui le côtoient,
- ce que ses premiers disciples comprennent de ce qui leur est transmis,
- enfin, ce que Paul, au plus près, écrit sur lui.
Mais regardons d’abord comment l’Eglise constituée a construit sa doctrine sur lui.

Nous l’avons appris au catéchisme, je l’ai appris en théologie et l’ai enseigné: Jésus est Dieu, Fils de Dieu le Père, et uni au Père par l’Esprit qui procède du Père et du Fils.
Aux questions que nous nous posons sur Dieu, la réponse est « mystère », nous pourrions dire aujourd’hui : « boîte noire ». Pourra-t-on essayer de l’ouvrir ?
Dans les premiers temps, le christianisme, qui s’est distancié du judaïsme, cherche à mieux comprendre « Dieu », Jésus étant venu en donner une connaissance nouvelle. Des réunions théologiques se succèdent : les premiers conciles œcuméniques vont tenter de donner une compréhension plus accessible de cette connaissance sur Dieu que Jésus a dévoilée.
C’est au milieu de mille essais-erreurs qu’avance cette compréhension : le gnosticisme chrétien, les attentes du retour du Christ, les schismes de prêtres, d’évêques, les « hérésies » dont celle d’Arius, plus tard de Nestorius…
Pour l’arianisme, le Verbe, le Logos, le Christ, ne peut être qu’une créature de substance différente du Père et adoptée par lui comme son fils. En somme son fils n’est pas Dieu.
Arius sera condamné au concile de Nicée, en 325.
Les questions sur la personne de Jésus continueront à alimenter les querelles théologiques. Au Vème siècle se pose la question cruciale : en Jésus, Dieu et homme y a-t-il deux natures : nature divine, nature humaine ? Sa divinité et son humanité sont elles deux natures ou une seule ? Le concile de Chalcédoine tranchera : deux natures en une seule personne. Mais la question continuera à se poser.


Que manifestes-tu de toi Jésus ?

La réflexion théologique actuelle aidée des apports de l’exégèse, éclairée par l’ histoire, l’archéologie, la psychologie, semble s’orienter vers une autre compréhension de qui est Jésus. Serait-il un homme comme nous ? Comme nous, apprendrait-il par l’expérience son métier de « charpentier » sans doute, mais aussi tout ce qui est l’évolution humaine de chacun de nous ?
On découvre qu’il évolue dans la compréhension de sa mission. Il semble prendre conscience d’elle progressivement. Alors qu’il se pensait envoyé « aux seules brebis perdues de la maison d’Israël » (Mt.15/24), la syrophénicienne , par la foi qu’elle manifeste, et qu’il découvre chez cette femme, aussi grande que celle de tant de fils d’Israël, semble l’étonner et le faire réfléchir. Sans doute se dit-il alors : si le Père a donné une telle foi à cette femme, c’est que vers elle aussi et ses semblables je suis envoyé.
Jésus est bon et bon pédagogue, mais il donne parfois des leçons peu pédagogiques : pourquoi rebuter quand on peut faire évoluer ? Ainsi dans la parabole du publicain : là il semble remettre à leur place ses contradicteurs plutôt qu’enseigner ce qu’est l’amour du prochain.
Lorsqu’il félicite le dixième lépreux qui est revenu sur ses pas pour le remercier de sa guérison, Jésus met quelque amertume dans la remarque qu’il fait: « …et c’était un samaritain ».
Si notre sociologie fait son évolution sur le « genre », il semble que Jésus la fasse lui, dans l’évolution de son attitude envers les femmes. Entendons la réponse à sa mère aux noces de Cana et son attitude au puits de Jacob. On a beau édulcorer les termes, il ne dit pas moins « femme » à sa mère à Cana. Par contre, dans son dialogue avec la samaritaine au puits de Jacob, c’est d’égal à égale que se déroule la discussion avec cette femme.
Il évolue aussi sur le sens de la liturgie juive. Enfant il est allé au temple de Jérusalem comme tout juif pour faire son devoir religieux, en soumission. Adulte, il y va en contestation de cette liturgie. Il a compris que Dieu n’est pas ce Dieu qu’on lui a enseigné, enfant, ce Dieu qui sent l’Egypte ou la Mésopotamie, ou encore le Mont Sinaï et le sacrifice d’Abraham. Ce n’est pas de béliers ou de taureaux que Dieu a besoin, mais de notre cœur.
Sa théologie dogmatique, pourrait-on dire, évolue aussi. Le Dieu tout-puissant que l’on adorait au temple est devenu le Père qui aime et qu’il veut aider comme lui-même a aidé Joseph, son père, dans son travail de charpentier : « Ne fallait-il pas que je sois au travail de mon Père ? »

De même que notre pratique religieuse évolue aujourd’hui, ainsi la « pratique religieuse » de Jésus. Il tient compte des circonstances. Lui qui ne veut pas qu’on enlève un iota de la Loi, il prend la défense de ses disciples affamés qui, un sabbat, passant près d’un champ arrachent quelques épis de blé : (Lc. 6/1 ss ; Mc.11/2ss ; Mt.12/1.ss)). Il en arrive même à énoncer cet adage qui est devenu comme une loi gravée maintenant dans la mémoire de notre époque : « le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat. » La loi est faite pour aider l’homme à mieux vivre et non l’homme pour que vive la loi.
Invité, dans la synagogue de Capharnaüm, à lire puis à commenter un texte d’Ecriture, lui, fidèle à la Loi, se permet de s’écarter du commentaire qu’il a mainte fois entendu, de la glose habituelle, pour donner sa propre interprétation, ce qui le fera pousser hors de la synagogue sous les huées des clercs.

Enfin, Jésus nous dit bien par la négative ce qu’il se sent être lui-même : je ne suis qu’un homme puisque je suis ignorant d’une chose qui ne peut échapper à la connaissance de Dieu : la venue de la fin du Monde. Il semble même qu’il l’imagine proche cette fin : « Le royaume de Dieu est proche ». C’est même ce qu’il demande aux 72 disciples d’annoncer dans les villes où il doit se rendre  (Lc.10/ ss.). S’agit-il dans ce passage de l’annonce de la Bonne Nouvelle ou de l’arrivée de la fin du monde ? On peut se poser la question.
En Marc ( 9/1) les choses semblent claires : la fin du monde est à taille de vie humaine: à l’époque on atteignait difficilement la soixantaine. « En vérité je vous le déclare, parmi ceux qui sont ici certains ne mourront pas avant de voir le règne de Dieu venu avec puissance ». Et en : 13/24-32, après une description de la fin du monde, « Vous aussi quand vous verrez cela arriver, sachez que le Fils de l’homme est proche…mais ce jour ou cette heure nul ne les connaît ni les anges du ciel ni le Fils, personne sinon le Père. » Comme le remarque une note de la T.O.B, si Jésus a la connaissance divine. ces paroles posent problème.

Dans d’autres pages d’évangile, Jésus se distingue lui-même du Père.
En Jean,14/28, il dit : « Le Père est plus grand que moi ».
En Marc, 9/37 : « Celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille mais celui qui m’a envoyé. »
Dans la « prière sacerdotale » aussi : Jo.17/1-4 : Il demande que les hommes connaissent le Père : « Toi le seul vrai Dieu », et le connaissent aussi lui, l’envoyé du Père.
Le verset suivant peut faire diversion: « Et maintenant, glorifie-moi, toi, Père, auprès de toi, de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde existe ». Il peut s’interpréter de l’éternité de Jésus, égale à celle du Père, ce qui nous amène à nous demander ce qu’est pour nous, hommes, cette vie que nous souhaitons « éternelle » et pas seulement « immortelle » à toute personne au moment de sa mort. Si les mots ont un sens, ces termes seraient à retravailler, ce qui, au rouet, poserait question sur ce que nous sommes : « éternels » ?

Dans toute la prière sacerdotale Jésus revient sur la distinction entre lui et le Père, ce qui peut être interprété comme prière de l’homme Jésus adressée à Dieu. Sans doute dit-il que le Père et lui sont un, mais il dit par ailleurs que lui et nous sommes un. Qui sommes-nous donc, nous, par rapport à lui ? Le chapitre : « Qui sommes-nous donc, nous les humains », nous éclairera peut-être à ce sujet.

Un trait de la psychologie bien humaine de Jésus apparaît en Marc 8/32-33.
Jésus vient d’annoncer sa fin avec assez de précisions : souffrir, être persécuté par le clergé, les savants de la Loi, être mis à mort, mais avec cette certitude de garder la vie. Pierre, avec autorité, n’est-il pas l’aîné qui en a vu d’autres, prend Jésus à part et lui fait des reproches. Jésus réagit très fort, et pas seul à seul avec Pierre, mais devant les autres disciples. Lorsqu’on a une très grande peur de ce qui va vous arriver, on réagit avec force et si possible en public, face à celui qui veut vous rassurer, vous protéger, comme pour bien affirmer en le niant, ce que l’on voudrait ne pas voir arriver. Alors que je dis avec force : cela arrivera ; je me dis avec désespoir : si seulement cela n’arrivait pas !
A certains moments cruciaux l’homme a besoin de beaucoup parler, pour partager sa peur bien sûr, pour se rassurer surtout. Ainsi Jésus aux chapitres 13 à 17 de Jean, longuement, par des gestes forts : le lavement des pieds, - le partage du pain au dernier repas n’est pas rapporté par Jean - et de lourdes paroles de prières, au long de cinq chapitres, il livre son testament : Ultima Verba.

Autre trait de psychologie bien humaine, Jésus se montre comme un simple débateur, avisé certes, dans certaines circonstances. Ainsi Marc, (11/15) rapporte l’intervention de Jésus chassant les marchands hors du temple et s’appuyant pour être bien épaulé, sur la parole de Dieu : (Isaïe 56/7) :  « Ma maison s’appelle maison de prière pour tous les peuples » ; (Isaïe 7/11) « A vos yeux est-ce une caverne de voleurs ce temple qui porte mon nom ? »
Toujours en Marc (11/27), rapporté aussi dans Mathieu et Luc et Jean, mais en d’autres circonstances, on voit Jésus se camper astucieusement devant la lourde armée des opposants, « l’armée rangée en bataille » dirait le psaume : « Pendant que Jésus allait et venait dans le temple, les prêtres, les maîtres de la loi et les anciens vinrent auprès de lui. Ils lui demandèrent : « De quel droit fais-tu ces choses ? Qui t’a donné autorité pour les faire ? » En réponse Jésus se permet de leur poser une devinette…  « … si vous trouvez, je vous dirai de quel droit je fais cela ! » Il faut lire les quelques versets de la fin de ce chapitre ! Jésus les embrouille, en Sologne on dirait : les enfume !

Marc rapporte d’autres accrochages d’homme à homme entre Jésus et les autorités : sur la monnaie qui est à l’effigie de César (Mc.12/14), sur la question discutée alors, de l’ « avenir » de la veuve qui a eu successivement sept maris : (Mc. 12/18) : « C’est parce que vous ne connaissez ni les Ecritures ni la puissance de Dieu que vous êtes dans l’erreur »…Jésus, ce laïc, ancien menuisier qui n’est pas passé par les Ecoles et qui sort ça, à cet aréopage !

On ressent les sentiments très humains de Jésus dans ces affrontements : émotion, énervement, envie de les envoyer tous au diable, c’est le mot. Et on peut se demander quelle réflexion profonde il peut bien se faire en ces moments, lui qui sait que ces gens sont ses frères ? Ne réfléchit-il pas comme nous lorsqu’après une querelle nos nous faisons reproche de notre dureté ou satisfaction de notre réussite ?

Ce Jésus qui éprouve ce que nous éprouvons nous est proche. Pourtant, nous avons appris et enseigné un autre Jésus : un faiseur de miracles, un homme parfait en tout. Il nous impressionne ce Jésus, trop céleste pour être imitable. Ses miracles n’étaient-ils pas présentés dans notre théologie comme preuve de sa divinité et argument pour affermir notre foi ? Le sont-ils encore dans le « Catéchisme de l’Eglise Catholique » ?
Aujourd’hui, les miracles n’impressionnent qu’à l’instant où on les déclare : on en a vu tellement d’autres !
La théologie qui enseigne Jésus Dieu-Homme ne passe plus. Plus encore, elle ne sert à rien. Comment regarder comme modèle quelqu’un d’inatteignable, un Dieu-Homme parfait, loin de nous, même s’il se met dans une peau humaine ?

Dans les des Actes des Apôtres comment les premiers chrétiens te voient ?

Si, en scrutant les évangiles, nous découvrons en Jésus un homme semblable à nous, nous pouvons aussi nous demander comment les premiers disciples le considéraient.
Une lecture attentive des Actes des Apôtres semble nous dire que Jésus y est regardé seulement comme homme, instrument de Dieu. S’il était considéré comme Dieu, c’est à lui que seraient attribués les actes extraordinaires signalés dans les Actes des Apôtres. Or ces actes ne lui sont pas attribués à lui comme le sont les miracles dans les évangiles, mais à Dieu qui agit par lui pour lui.
Jésus y est dit « serviteur de Dieu » : Act.3/13-15, 3/26.
Il est engendré par Dieu, dans le temps : Act.17/33, en rappel du psaume 2 : « Tu es mon fils, aujourd’hui je t’ai engendré », et pas de toute éternité….
C’est Dieu qui l’a ressuscité : Act.2/24, 2/32 , 3/13-15,5/30,10/40,13/30,13/37.
Dieu l’a oint, l’a donc fait « christ » : « Ce Jésus de Nazareth, vous savez comment Dieu lui a confié l’onction d’Esprit Saint et de puissance » : (Act.10/38).
C’est Dieu qui l’a fait «Seigneur, celui que vous avez crucifié » (Act.2/36).
Enfin, Dieu l’a glorifié : Act.3/13-15.
Pierre fait un miracle « par le nom de Jésus Christ le Nazaréen, crucifié par vous, ressuscité par Dieu »: Act.4/10.
Philippe, diacre, prêche à Samarie « la bonne nouvelle du Règne de Dieu et du nom de Jésus » :Act. 8/12.

Comment tes apôtres et tes disciples te  voient ?

Nous avons dans un premier temps essayé de comparer les attitudes de l’homme Jésus aux nôtres, dans la vie courante. Nous avons ensuite consulté les textes des Actes pour essayer de repérer la manière dont les premiers chrétiens ont parlé de Jésus, voyons maintenant comment les disciples qui ont vécu au quotidien avec lui le considéraient.
Dès son baptême, Jésus reçoit une manifestation céleste : les cieux s’ouvrent « pour lui » est-il écrit : (Mt. 3/16). Il voit l’Esprit, et, une voix venue du ciel dit : « Tu es mon fils bien-aimé, en toi je mets toute ma joie ». Il semble que cette théophanie lui soit réservée : « pour lui » ; mais Jean le Baptiste aussi a vu l’Esprit : (Jo. 1/32). Peut-on penser que l’évangéliste veut nous dire à nous que cette parole venant d’en haut est, à ce moment, pour Jésus, « révélation » de ce qu’il est pour Dieu ?, Jean-Baptiste, son cousin, sait, depuis longtemps peut-être, que Jésus est quelqu’un de particulier. Au jour du baptême il lui est révélé que Jésus est « l’élu de Dieu » (Jo.1/34). Le lendemain, dit l’évangile de Jean : (Jo. 1/35), André et un autre disciple du Baptiste voient Jésus et passent une partie de la journée avec lui. Pour eux, Jésus est l’envoyé de Dieu, le Messie. Simon-Pierre, puis Philippe puis Nathanaël le voient comme « Fils de Dieu, roi d’Israël » : (Jo. 1/49). Plus tard, les miracles qu’il fait amènent les disciples à réfléchir, mais il reste « l’envoyé de Dieu ».
L’expression « Fils de Dieu » n’affirme pas nécessairement une « divinité » différente de celle qu’on attribuait à ces époques aux pharaons, aux empereurs ou aux rois. Joseph Moingt dans « L’homme qui venait de Dieu » (p.92-94), explique bien comment aux premiers siècles de notre ère, imprégnés de paganisme, des glissements se sont faits qui ont attribué à Jésus des titres réservés aux grands de l’époque.

Je cite maintenant un certain nombre de textes signés du nom des apôtres, des évangélistes, m’amenant à entendre que pour eux, Jésus est un homme. Ce « catalogue », je l’ai réuni ces dernières années au cours de mes lectures et méditations depuis que cette interrogation sur la personne de Jésus me taraude et me le rend aussi plus proche.
Ces textes, comme ceux relevés dans les Actes font distinction entre Jésus et Dieu.
En Jean.17/3, Jésus est l’envoyé de Dieu : « La vie éternelle c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. »
Mathieu : 8/27, Mc.4/41, Lc.8/25, rapportent la tempête apaisée. Les apôtres s’étonnent dit Mathieu : « Qui est donc celui-là car aussi le vent et la mer lui obéissent ». Devant nombre de ses « miracles », Marc et Luc décrivent en termes semblables l’étonnement et le questionnement sur cet homme qui les a appelés.

Dans leurs lettres les apôtres distinguent Jésus et Dieu.
1ére de Pierre : (2/4) : « Approchez-vous du Seigneur, pierre vivante rejetée par les hommes mais choisie et jugée précieuse par Dieu ».
Jacques dans sa lettre 1/1, se déclare : « serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus Christ »
Paul, maintenant : Col.1/1 : « apôtre du Christ Jésus par la volonté de Dieu », dans de nombreux passages de ses lettres : (1 Tim.5/212), « nous conjure devant Dieu et le Christ Jésus et les anges »
Dans la 1ère aux Thessaloniciens (1/1) : « Paul, Sylvain et Timothée à l’Eglise des Thessaloniciens en Dieu Père et dans le Seigneur Jésus Christ, grâce à vous et paix ». Plus loin : (1/2-3), Paul rend grâce à Dieu de la « foi charité espérance des Thessaloniciens en Jésus Christ devant Dieu notre Père ». Et en 5/9-10 : « Dieu ne nous a pas destinés à subir sa colère, mais à posséder le salut par Notre Seigneur Jésus Christ, mort pour nous afin de nos faire vivre par lui. » En effet, il n’y a que « un seul Dieu, un seul médiateur aussi entre Dieu et les hommes : un homme : Christ Jésus. » (1 Tim.2/5) 
S’adressant aux Corinthiens (1Cor.8/5-6) qui voient autour d’eux tant de statues de divinités auxquelles on offre des sacrifices d’animaux, tant de temples ou l’on enseigne « la connaissance », Paul écrit que « même s’il y a de prétendus dieux au ciel et sur la terre- et en fait, il y a beaucoup de « dieux » et de « seigneurs »- il n’en est pas moins vrai que pour nous, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père , qui a créé toutes choses et pour qui nous vivons : il n’y a également qu’un seul Seigneur, Jésus Christ, par qui toutes choses existent et par qui nous vivons. »
Nous vivons par ce seul Seigneur Jésus Christ qui résume en lui la complétude de la vie de l’humanité : (1Cor.15/21-28)  « Puisque la mort est venue par un homme , c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts : comme tous meurent en Adam, en Christ tous recevront la vie : mais chacun à son rang : d’abord les prémices, Christ, puis ceux qui appartiennent au Christ, lors de sa venue;  ensuite viendra la fin, quand il remettra la royauté à Dieu le Père. » Et plus loin : « Mais quand il (Christ) dira : Tout est soumis, c’est évidemment à l’exclusion de Celui qui lui a tout soumis. Et quand toutes choses lui auront été soumises, alors le fils lui-même sera soumis à Celui qui lui a tout soumis, pour que Dieu soit tout en tous. » Magnifique fresque qui a pu inspirer Michel-Ange !
Remarquons aussi qu’à la fin des temps, le fils sera soumis au Père, chose qui ne concorde pas avec le mystère de la Trinité tel que le conçoit la théologie actuelle.
Au-delà du triomphe de Jésus sur la création, nous les humains vivons et vivrons cachés avec Jésus, le Christ, en Dieu : ( Col.3/3-4) « Vous êtes morts avec le Christ, et votre vie reste cachée avec lui en Dieu » en « Dieu qui a ramené d’entre les morts notre Seigneur Jésus » (Hé.13/20-21).
Relisant de près ces quelques textes, et le texte grec est parfois plus parlant, nous saisissons bien que Dieu et Jésus n’occupent pas la même sphère dans la pensée des apôtres, eux qui ont vécu au quotidien de l’homme Jésus qui, souvent, le soir, se retirait pour parler au Père, à « Notre Père qui es aux cieux » et pas « Votre Père …».

Qui es-tu donc pour nous ?

Il semble que nous pouvons, au terme de cette recherche dans le Nouveau Testament, considérer vraiment Jésus homme comme nous, ayant vécu ce que nous vivons, avec cette même psychologie humaine qui, comme le vent dans la voile, nous emporte ou nous retient jusqu’à ce que nous nous sentions maîtres de notre barque, bons navigateurs, rendus parfaits grâce à l’exercice de la vie.
L’épître aux Hébreux (5/9) semble bien nous dire cette « progression » de l’homme Jésus : « Après avoir été rendu parfait, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent, principe de salut ». Pour lui aussi la perfection aura été une longue navigation.

« Principe de salut » pour l’homme par l’exemple de sa vie et de sa mort. Au long de sa vie, Jésus a appris ce que veut dire : être humain. Il a pris conscience que c’était mettre dans la pratique l’évolution de sa foi.
Il avait découvert pour lui qui est Dieu ; il a adapté sa vie à sa foi. Il a dit ce qu’il avait découvert de Dieu, il a combattu une théologie différente ; il s’est mis son « Eglise », l’assemblée juive, à dos au point que cette « théologie » a choqué, désorienté et même changé en prophète Caïphe, le prêtre suprême de l’époque : «C’est votre avantage qu’un seul homme meurt pour tout le peuple » (Jo.11/50)
Jésus, conscient de ce qu’on lui préparait est venu au-devant : « Il faut que je monte à Jérusalem… » Jésus va au bout de son engagement.

Notre rédemption, c’est cela ! Ce n’est pas le sang qui coule et nous lave de nos péchés, c’est son engagement jusqu’au bout qui nous propose : va jusqu’au bout de ce que tu crois, sois vrai avec toi et puis, « Viens, accompagne-moi. »
On peut alors comprendre tout le sens des derniers mots de l’évangile de Jean (19/30) : « Inclinant la tête, il rendit l’esprit. » Ce terme : rendre, est, en grec : « paradokein » Il se traduit par : transmettre, remettre par succession, remettre de la main à la main, confier, remettre une personne à une autre pour l’instruire et l’élever.
Jésus nous « transmet » l’Esprit qui l’anime, l’Esprit qui est Amour, afin que nous vivions de ce même Esprit.

Qui sommes-nous, nous les Humains ?

« Lorsque ton Fils prend la condition de l’homme, la nature humaine en reçoit une incomparable noblesse ; il devient tellement l’un de nous que nous devenons éternels. » (Troisième préface de la Nativité). 

La situation dans laquelle les textes que nous venons de travailler placent Jésus n’est pas sans conséquences pour nous.
Si l’on considère Jésus comme homme semblable à nous, premier de nous tous dans la compréhension de qui il est, qui sommes-nous nous-mêmes ?
Ici je m’aventurerai à présenter une mienne expérience
.
J’ai vu mourir ma femme, au terme d’une longue maladie, comme on dit. Les soins palliatifs l’avaient aidée, nous avaient aidés à être lucides et paisibles jusqu’à la fin. C’est au moment de son dernier souffle que j’ai eu l’évidence que la vie ne finit pas : ma femme laissait sur son lit d’hôpital son vêtement de chair douloureuse, mais la vie, sa vie ne s’arrêtait pas. Comment ? Mystère !
Je n’avais cessé, je n’ai cessé de réfléchir à ce qu’est la vie, et nombre de textes de l’Ecriture parlant de la vie s’agitaient dans mes réflexions. « En Lui nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes »…
Le déclic se fit un jour que je relisais pour la Nième fois le chapitre 2 de la Genèse. Je fus arrêté par ce texte : « Il prit du limon de la terre, en fit le corps de l’homme et lui souffla un souffle de vie ».Ce jour, je me dis : mais voilà, la vie, ma vie, c’est la vie divine qui m’anime, qui anime tous les humains mes frères, qui anime le monde, du quark à l’homme et à l’ « ange » peut-être.
Lorsque je parle à des chrétiens de cette « découverte », certains me répondent :  « c’est évident que le « Divin » nous habite : l’Esprit Saint nous est donné qui vient animer notre vie ». Il me semble alors que nous ne nous comprenons pas bien. L’Esprit Saint n’est pas, dans ma recherche, un troisième élément qui dans mon corps animerait mon « âme » ou ma vie déjà existante. Le « Divin », c’est ma Vie-même.
Cette vie que la science cherche à « fabriquer » mais dont elle ne fabrique que les supports et pas la vie-même. En effet, la technique fait de l’artificiel. Or la différence entre le vivant et l’artificiel, c’est que l’un a la triple capacité d’intégration, de reproduction et d’évolution que l’autre n’a pas. (cf. Séminaire du Dr Michel Bercot 1996-1998).
Cette relecture de Genèse 2 devenait alors pour moi une nouvelle évidence qui m’amena à changer des choses dans ma vie. Peut-on en effet, persuadé de ce qu’est la vie, avoir par exemple un ennemi ? Si sa vie et ma vie sont la même Vie, comment ne me rendrais-je pas compte que lorsque ma rancune, ma vengeance le démolit, c’est ma vie que je démolis ?

Le commandement de Jésus : « Aimez vos ennemis » (Mt 5/43ss.) devient alors limpide. Ce commandement qui peut raidir ceux qui l’entendent nous arrive sous une autre lumière. C’est limpide comme eau de roche que si je démolis la vie, la vie qui est mienne en l’autre, je me détruis moi-même.

Par contre, si devant les injustices, nous pouvons dire, comme Jésus : «Pardonne, car ils ne savent ce qu’ils font », cela ne nous empêche pas de lutter, comme Jésus en est lui-même, là aussi, l’exemple, contre les pouvoirs injustes, et par là, épanouir la vie du Monde. 
La psychologie nous dit bien que faire du mal à l’autre c’est se faire du mal à soi, mais dans cet ordre du supérieur, de l’essentiel, le rejet de l’autre prend une tout autre dimension : celle de l’Essentiel justement 


Dans l’unité trinitaire.

Cette mystérieuse « boîte noire » que la théologie catholique nous présente chaque fois qu’elle sombre dans la difficulté de soutenir l’imbroglio qu’elle s’est cuisiné, cette « boîte noire » du mystère de la Sainte Trinité sera peut-être plus facile à ouvrir maintenant que nous avons situé Jésus avec nous, humains, et nous avec lui, dans l’unité de la vie et dans l’amour qui nous unit.
La Trinité nous est présentée comme un dogme : vérité à croire.
Croire est-ce à dire : c’est comme ça, tu prends ou tu laisses. Si tu prends, tu es des nôtres ; tu ne prends pas : tu es exclu ?
Croire en la Trinité, cela m’ouvre à quoi dans ma recherche du lien avec le Divin : Dieu : Père, Fils et Saint Esprit, vivant dans son éternité bienheureuse ? C’est la famille divine, et moi, je suis de la famille humaine.
La Trinité a bien délégué le Fils qui est venu mettre pied sur notre terre, mais cela ne fait pas moins deux familles.
Par contre, si ce que nous avons compris de Jésus et de nous peut être vrai, tout change.
Dieu est notre Père-Mère a dit un jour le pape Jean-Paul 1er, à qui on n’a pas laissé assez de temps pour nous enseigner le fond de sa théologie. Donc, le Dieu que nous enseigne Jésus n’est plus le Jupiter tonnant, scrutateur de nos fautes mais le Père qui a déjà pardonné à l’enfant dépensier, et jouisseur un peu excessif des cinq sens, des cinq talents qu’il a reçus.
Ce Dieu est Amour, source de l’amour que nous découvrons au long de la vie à travers tous nos essais plus ou moins tâtonnants plus ou moins réussis d’amour, jusqu’à ce que nous comprenions et vivions l’Amour.
Ce Dieu Père-Mère aime ses enfants : fils et filles, et il nous le fait savoir par celui qui le comprend mieux que les autres : Jésus ce frère. Ce Jésus qui ne veut pas garder sa science pour lui, nous apprend que le Père l’aime, lui, et nous aime tous, parce que nous sommes tous comme lui, pas toujours aussi bons que lui, mais tous appelés à le devenir. Il nous dit que, lui ressembler c’est tendre à nous aimer les uns les autres. Il nous donne lui-même l’exemple, même si ça lui coûte la vie.
Le « Fils » de la famille divine, ce serait donc nous ?
Eh oui ! Rappelez-vous, dans l’évangile de Jean, au chapitre 10, Jésus dit à ces opposants qui l’ennuient de leurs soupçons : Mais vous êtes comme moi, et moi comme vous. Relisez le psaume que vous chantez chaque jour dans le Temple : le Ps.82 « Vous êtes Dieux et les fils du Très-Haut »
La chose est claire : le Fils, les Fils et Filles, c’est nous !
Reste à découvrir le Saint Esprit, dans cette « boîte noire » mystérieuse, au fond de laquelle nous fait signe l’Esprit, cet Amour du Père pour nous, de nous pour lui, cet Amour qui nous lie, humains, les uns aux autres. C’est l’Esprit que Jésus nous a transmis au moment où, « inclinant la tête, il rendit, transmit l’Esprit »
Karl Rhaner écrit dans « Quelques remarques dans le traité dogmatique « De Trinitate » p.135-136, cité par Joseph Moingt dans « Dieu qui vient à l’homme : de l’apparition à la naissance » p.113  : « Moins une doctrine de la Trinité a peur de s’intégrer dans l’économie du salut, plus elle a de chance de dire, au sujet de la Trinité immanente, ce qui est le plus essentiel, et de faire comprendre réellement cet essentiel à l’intelligence de la foi, aussi bien théorique que pratique ».
Si le mystère de la Trinité c’est ainsi qu’il faut le comprendre, alors, j’ai tout compris. Ca va me prendre du temps et des efforts mais j’ai tout mon temps puisque ma vie est « éternelle ». Quant aux efforts, à la peine… St Augustin ne disait-il pas un jour : « Où il y a de l’amour, il n’y a pas de peine, et si on peine, cette peine, on l’aime ».. Lui qui savait si bien tricoter en langue latine, écrivait : « Ubi amatur non laboratur et si laboratur, labor amatur. »
Certains qui me liront jusqu’au bout me traiteront d’hérétique. Mais le savoir n’avance-t-il pas par essai-erreur ?
Et quand une erreur vous permet de vivre, d’ajuster votre vie à la vie de votre entourage, aux préceptes de l’Evangile, alors, vive l’erreur !

En conclusion temporaire, avant de se remettre au travail.
(i.e. avant de reprendre notre Bible pour la lire et la relire, pas à pas, en nous arrêtant sur ces paroles qui nous posent question et nous ouvrent le cœur).

Ce long parcours de réflexions, j’en vois bien l’unité, à travers ses méandres qui nous ont promenés, (promenade socratique en retour à mon article de Golias n° 102), de la salle du Cénacle à la construction de l’Eglise, à la place qu’elle occupe dans le monde, à l’exigence, pour ceux qui la constituent, de travailler à devenir ce qu’ils sont appelés à être. Le modèle c’est Jésus qui nous montre, à travers les Evangiles, qui il est, qui nous sommes.
Aujourd’hui, continuons le travail que nous avons commencé. Il n’y a pas d’âge pour cela, cheveux blancs, gris, noirs ou clairs, que l’on soit de la première, de la sixième ou de la onzième heure, car, nous le savons, après la onzième heure et le travail qu’il faut y accomplir, il y a, hors espace-temps, la Vie qui demeure, car « Vous êtes Dieux, et les fils du Très-Haut » : (Ps.82/6 ; Jn.10/34)

Gilles Lacroix, psychanalyste, prêtre, Mont près Chambord - 07/04/2005 -  25/01/2015.
(Ce texte peut être consulté sur le site http://golias-editions.fr)

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