mardi 14 janvier 2014

La revanche des progressistes ?

François : 
Le christianisme n’oppose pas tradition et discours social
Publié le 28 novembre 2013 à 9:00 dans MondePolitiqueSociété

Un bruit court dans certains milieux: le pape François représenterait la revanche de la ligne progressiste dans l’Eglise ! Après les pontificats soi-disant  « conservateurs » de Jean-Paul II et Benoît XVI, le nouveau souverain pontife incarnerait le retour à la tentative d’ouverture au monde engagée par le dernier concile. D’une Eglise moralisatrice et doctrinale, nous reviendrions à une Eglise  de nouveau en phase avec notre temps, disposée, à tout le moins, au dialogue avec lui.
L’Eglise retrouverait les intuitions de Vatican II et mettrait (provisoirement?) un terme aux ères glaciaires traversées par Rome depuis trente ans. La parole papale redeviendrait audible. Les déshérités, matériels comme spirituels, retrouveraient droit au chapitre. Au lieu de se crisper sur des revendications identitaires, le clergé serait disposé à reprendre langue avec la société. Tolérance et décontraction à tous les étages !
Les observateurs qui soutiennent cette opinion ont-ils lu les écrits, les discours, de François? Et ceux de Benoît, de  Jean-Paul ? A ce niveau, la rupture est-elle si avérée? N’est-ce pas Jean-Paul II qui a lancé les rencontres inter-religieuses d’Assise? Benoît XVI n’a-t-il pas eu de cesse d’appeler au dialogue entre foi et culture en tant qu’éminent penseur et philosophe? Tous deux ne se réclamaient-ils pas d’ailleurs de Vatican II?  Le premier y avait en effet joué un rôle éminent. Quant à Joseph Ratzinger, jeune théologien à l’époque, il y avait également participé en tant expert et assistant du Cardinal Frings.


« C’est une affaire de style », nous rétorque-t-on. Soit. Le pape François est un pasteur. Benoît XVI était davantage un théologien. On sait que ce dernier a accepté la charge à reculons. Jean-Paul II, de son côté, fut marqué par l’athéisme politique du communisme : ainsi s’expliquait son souci d’une Eglise plus confessante, militante. François, lui, vient d’un continent qui a fait du travail social des communautés de base sa marque spécifique. Ancien archevêque de Buenos Aires, le contact ne lui fait pas peur. Alors que Benoît semblait quelquefois emprunté en public, timide, quoique toujours chaleureux, le nouveau souverain pontife se meut au milieu des foules avec aisance, y prenant visiblement le plus grand plaisir. Ses discours font mouche à tous les coups. Simple et direct, point besoin d’être licencié en théologie pour le comprendre.
Sur le fond, le pape François est-il vraiment plus « social » que ses prédécesseurs? A première vue, les observateurs seraient tentés de le penser. Un pape sud-américain ! Cependant, c’est oublier un peu vite que Benoît XVI a écrit durant son ministère pétrinien un important document sur la question: « L’Amour dans la Vérité ». Jean-Paul II avait lui aussi la fibre sociale très développée. Il fut un des premiers à mettre en garde contre les ravages de l’ultralibéralisme après la disparition du rideau de fer dans les pays de l’Est. Depuis Léon XIII, au dix-neuvième siècle, la papauté a toujours mis l’accent sur l’impératif de l’engagement des croyants dans la cité. Dans ce domaine, François s’inscrit dans une ligne doctrinale ininterrompue depuis «Rerum novarum » (1891), première encyclique à traiter de la question ouvrière.
Pour la plupart des observateurs, le style, aujourd’hui, se résume souvent à l’image médiatique. François est télégénique, sympathique, et audible : tant mieux! Les chrétiens ne s’en plaindront pas, eux qui ont toujours tenu l’iconoclasme, la condamnation des images, pour une amputation de l’humaine condition. La vue, c’est le corps. Le corps a toujours été tenu en grande estime dans le catholicisme. La preuve: on ne peut pas se confesser par téléphone ! Pour recevoir le sacrement de réconciliation, vous êtes tenus de vous déplacer, vous et votre carcasse, de parler de bouche à oreille (toujours le corps!) à un  prêtre, lui aussi fait de chair et d’os ! Avant de constituer un système d’idées, le christianisme est une affaire de personnes, que ce soit Jésus-Christ, le pape, mon curé, mes co-religionnaires, mes collègues, mon voisin ou ma voisine de palier. Alors, rien que de très normal si le style de François influe sur notre perception de l’Eglise.
Cependant l’image n’est pas tout.  Ce n’est pas parce que François est sympa et décontracte, que l’Eglise serait subitement devenue progressiste. Tout comme ce n’est pas parce que Benoît XVI donnait la communion sur la langue aux fidèles qu’elle restait engoncée dans son conservatisme durant son pontificat. Comme tous les organismes vivants, l’Eglise est diverse. Différentes sensibilités la traversent. C’est ce qu’on appelle la vie. Gardons-nous des idées reçues, des vieux clichés qui voudraient dresser raideur identitaire contre progressisme social. Par exemple, rester attaché au magistère de l’Eglise n’est pas contradictoire avec un investissement au service des plus pauvres.  De même vous pouvez avoir à cœur une liturgie soignée, avec grégorien et moult agenouillements, tout en collaborant avec les autres acteurs sociaux à promouvoir le bien commun de la cité, indépendamment de toute appartenance confessionnelle. Autrement dit, la fidélité à l’enseignement de l’Eglise, le goût des traditions, ne vous transforment pas automatiquement en adepte du statu quo dans la réalité socio-politique.
Dans ces conditions, assiste-t-on à ce fameux effet de balancier que certains guettent comme l’aurore?  Ce serait faire de l’image, ou du « style », la mesure de la théologie. Or, pour l’Eglise, la doctrine, en son essence, possède un nom: Jésus-Christ. Et il n’appartient à aucun pape, ni à aucun théologien, de lui faire dire ce que l’air du temps ou les médias souhaiteraient lui souffler à l’oreille, comme un ventriloque fait parler la poupée qu’il tient entre les mains. L’Eglise n’est ni conservatrice, ni à la remorque des idéologies du moment. Elle tente simplement, cahin-caha,  de rester fidèle à son fondateur. En son sein, François, même à son insu, ne représente donc pas le pape de la revanche d’une faction sur une autre. Il reste, et c’est déjà beaucoup, le serviteur des serviteurs de Jésus-Christ.
·         L'AUTEUR
Jean-Michel Castaing est l'auteur de « 48 objections à la foi chrétienne et 48 réponses qui les réfutent » aux Editions Salvator.


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