mercredi 2 septembre 2015

Jésus, une vie hors des sentiers battus[1]


Présentation du livre par son auteur: Guy de Longeaux

1) Pourquoi ce livre ? Quelle était l’intention ?
Ce livre a la particularité, parmi les nombreux livres sur Jésus, de se focaliser sur ce qui paraît non crédible dans certains propos évangéliques pris à la lettre et d’en chercher une signification crédible allant au cœur de la foi.  Je pense qu’une certaine image invraisemblable de Jésus, faiseur de prodiges et entouré de merveilleux, détourne de s’intéresser à lui et empêche de recevoir son message.
Tout le livre est marqué par cette phrase de St Jean[2] : « Dieu, personne ne l’a jamais vu, mais si nous nous aimons les uns les autres, il demeure parmi nous ».
 D’où le présupposé : Dieu est invisible ; en Jésus, seul l’homme est « visible ». C’est dans la réalité la plus humaine de Jésus que se révèle sa plus haute spiritualité.
Je me place du point de vue de ses contemporains immédiats : ils ne voyaient qu’un homme, un homme d’exception sans doute, mais pas autre qu’un homme, et pourtant ils avaient déjà là toute sa vérité.  
On peut voir ce livre comme un témoignage, mais il est aussi le reflet des questionnements de bien des gens d’aujourd’hui. Ce ne sont pas seulement mes réflexions personnelles, car je m’appuie sur des experts, exégètes, historiens, théologiens. Ce n’est pas un livre savant, mais de vulgarisation, pour un large public, croyant ou incroyant 

2) Deux idées-maîtresses et un enjeu :
a) Jésus est un homme selon toute la définition de la condition humaine — sinon la notion d’incarnation n’a pas tout son sens.
Les manifestations surnaturelles qui l’entourent paraissent surajoutées par des évangélistes soucieux de témoigner de leur émerveillement par rapport à celui qui les avait bouleversés ; déboussolés par sa mort cruelle, ils relisent la Bible en projetant sur lui des paroles de prophètes et de psaumes ; ils se servent du « style apocalyptique » (visions de fin du monde, avec des personnages lumineux et des voix venues du ciel qui délivrent un message) car les Juifs de l’époque étaient dans une ambiance de proche fin du monde.
En deçà de ces enjolivements, quel homme se laisse voir dans les récits évangéliques ? Un homme ayant des talents exceptionnels d’orateur, de guérisseur, de maître spirituel, et surtout passant son temps à s’occuper des autres, car tel était pour lui le sens de la vie selon Dieu. Un homme découvrant peu à peu sa mission, et même sa conception de Dieu (les 3 visiteurs[3]). Il refusait de se laisser enfermer dans un personnage sacré, ou dans un libérateur politique (il ne se nomme pas lui-même « Fils de Dieu », ni « Messie »[4], mais Fils de l’Homme). Il devinait ce qui l’attendrait à la fin, étant donné l’hostilité des autorités religieuses. Il prenait les gens pour ce qu’ils sont, sans faire de morale. Il se montre fin psychologue, convivial, proche aussi bien des petites gens que des grands. Il se révèle sensible à la féminité, ayant de forts liens d’amitié avec des femmes ; c’est à des femmes qu’il a livré des points essentiels de son enseignement, mais on a toutes raisons de penser qu’il est resté célibataire.
b)  Jésus n’est pas un homme « de religion ».
Pour lui le souci de l’humain prévaut toujours sur toute obligation religieuse. On ne le voit pas prêcher la pratique d’une religion, mais le « royaume de Dieu », un monde où règnent fraternité, justice, paix, solidarité, selon le désir de Dieu. Il n’a pas institué une nouvelle religion : il s’inscrit dans la foi juive qu’il dit porter à son accomplissement. Il n’a laissé aucune consigne pour une institution religieuse, faisant confiance à ses disciples pour s’organiser après lui selon l’esprit qu’il leur avait inculqué. « L’adoration en esprit et en vérité », qui me semble le sommet de son enseignement, c’est, se relier à Dieu  « en esprit », non pas dans la matérialité de pratiques rituelles ou de lieux sacrés, et  « en vérité », dans l’amour du prochain sans lequel il n’y a pas de véracité de la relation à Dieu, car « celui qui dit aimer Dieu alors qu’il hait son prochain est un  menteur »[5].
On ne le voit pas s’occuper lui-même particulièrement de culte ; simple laïc, il n’avait pas d’habilitation religieuse particulière ; il n’était pas prêtre juif ; il fréquentait les synagogues et le Temple, mais on l’y voit prendre la parole plutôt que rendre un culte ; pour prier il s’isole dans la montagne ; il enseigne de prier son Père sous le mode de la conversation et non de rites particuliers ; pour faire mémoire de lui après sa mort, il n’appelle pas à une célébration rituelle, mais à un partage fraternel en son nom au cours d’un simple repas.
A cause de ce comportement si peu religieux, il est toujours en butte aux autorités religieuses qui font de leurs obligations sacrées une priorité absolue.
A l’égard de Dieu, il témoigne d’une intimité singulière qui prédispose au don de soi aux autres, et il dit à ses disciples qu’ils sont proches de Dieu quand ils font des autres leurs prochains.
c)  Un enjeu : une relecture de certaines données de foi :
Voir en Jésus un homme parmi les hommes, révélant Dieu au cœur de l’humanité, incite à reformuler certaines notions de foi, par rapport auxquelles nombre de catholiques sont en délicatesse[6], telles  que la naissance virginale, la présence réelle, la résurrection, et d’autres encore. Comment croire ce qui est incroyable ?
Il est vrai que soulever ces questions met en jeu des siècles de tradition et la cohésion de la doctrine catholique. Pourtant ces questions se posent aujourd’hui. Des théologiens font la constatation de contradictions entre certaines données dogmatiques et les connaissances scientifiques et historiques actuelles concernant la vie de Jésus et  ils proposent, en conséquence, une reformulation de certains dogmes. Un simple laïc peut témoigner de son cheminement personnel à cet égard, avec néanmoins le souci de ne pas faire bande à part, mais d’être en accord avec des personnalités reconnues dans l’Église, même peu nombreuses.     
On peut ainsi faire une relecture de l’Annonciation en voyant que l’intention de Luc est sans doute d’affirmer que, dès la conception de l’enfant, Dieu faisait de lui son envoyé, son « Fils »,  et que le père humain de Jésus n’était pour rien dans ce dévolu que Dieu jetait sur l’enfant. La préoccupation de Luc est d’ordre théologique et non biologique.
Est-ce que Jésus avait des frères et sœurs ? C’est affirmé depuis longtemps par les protestants, et aujourd’hui par un certain nombre d’exégètes catholiques.
Les miracles, je vois Jésus les attribuer à la foi des gens (« ta foi t’a sauvé »), à la confiance qu’ils lui font. Quant à la réalité des faits qui sont à la base de chaque « miracle », certains experts ont une méthode de critique historique pour l’évaluer. Il faut sans doute admettre que Jésus avait un don  particulier de guérisseur. Mais ce qui comptait pour lui, ce n’était pas de se prévaloir d’un pouvoir divin, c’était de faire tout ce qui était en son pouvoir pour remettre sur pied des gens mal en point.   
En partageant le pain, lors de la Cène, Jésus demande à ses disciples de s’associer au don qu’il fait de sa vie, pressentant qu’elle va lui être prise le soir même. Le « corps » en hébreu, c’est la personne. Le « sang », c’est la vie. La notion de transsubstantiation n’est venue que beaucoup plus tard, pour des raisons, semble-t-il, de logique intellectuelle qui ne sont plus les nôtres.
Au sujet de la résurrection, je mets en évidence tous les doutes et les contradictions qui figurent dans les récits évangéliques, laissant entendre qu’il ne s’agissait pas d’un fait observable, ni localisable, mais d’une conviction partagée dans le registre de la foi.
    
3) Jésus continué dans l’Église
Les 4 derniers chapitres décrivent comment il s’est « continué » après sa mort (selon le mot de Bossuet : « L’Église, c’est Jésus-Christ continué »).
Dans les Actes des apôtres, nous voyons l’Esprit saint animer les disciples dans tout ce qu’ils font. Je l’interprète comme le souci des disciples d’agir selon l’esprit que leur avait inculqué le Christ de son vivant , et non comme leur mise sous tutelle, en quelque sorte, d’un Esprit décidant à leur place.
Les 3 derniers chapitres sont très critiques, en montrant d’abord le retour en arrière qui a eu lieu dès la fin du second siècle avec la reprise de conceptions religieuses du judaïsme, avec l’institution de prêtres ayant des pouvoirs sacrés et tenant à distance le peuple des laïcs (des illettrés, il est vrai, à l’époque).
Puis un chapitre désigne le handicap actuel de l’Église catholique, tel que le voient des théologiens et des prêtres que je cite : ce handicap, c’est de rester centrée sur le culte et sur la notion de sacerdoce ce qui empêche l’Église de réinventer son fonctionnement dans un esprit évangélique en comptant, en particulier, sur le rôle essentiel des laïcs et, parmi eux, des femmes.
Le dernier chapitre concerne la sécularisation de la société en montrant qu’elle est un milieu naturel pour vivre la foi chrétienne.
Un enjeu : une autre façon de « faire Église »
Reste à imaginer  une Église redéfinissant son rôle en référence à une figure réactualisée de Jésus, montrant l’homme qu’il fut, bien différent des idées reçues, redevenant proche et attrayant, au lieu d’être rejeté a priori à cause de l’image pieuse ou invraisemblable et non crédible que beaucoup en ont retenue de leur catéchisme.
Un rêve est sous-jacent à tout le livre : celui d’une Église servante, fondée sur des petites communautés rassemblant des chrétiens se soutenant les uns les autres pour la mise en pratique d’un esprit évangélique au service de la société, et entretenant cet esprit dans des célébrations se déroulant sous le mode de la conversation et de la convivialité, en mémoire de la Cène, sans autres rites ou paroles formelles que ce qui exprime une communion avec l’Église universelle. Pourquoi ce rêve ne se réaliserait-il pas déjà ici ou là dans des petits groupes que l’évêque du lieu serait appelé à reconnaître ? 




[1] Éd. Temps Présent, 2014, 300 pages
[2] I Jn  4,12
[3] Cf. Livre de la Genèse, ch. 18, les 3 hommes rendant visite à Abraham
[4] à la Samaritaine qui évoque le Messie, il ne fait qu’aquiescer
[5] 1ère épitre de Jean, 4,20
[6] Cf. ce que m’écrit un professeur de théologie émérite, Gérard Bessière : « Votre livre formule les questions que beaucoup portent en eux, plus ou moins consciemment, sans parfois se les exprimer à eux-mêmes »

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